Breton Gabriel correspondances d'octobre 1915 à décembre 1915

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Guerre 1914-1918 57.jpg

Blessure et évacuation.

Le 5 octobre.

Ma chère Maman,
Je vous écris au milieu du plus beau tintamarre qui puisse exister ; depuis trois jours nous vivons dans une tempête de bruits. Je suis en première ligne et les deux artilleries se livrent à un duel épouvantable. Je n'ai jamais entendu cela ; il y a de tous les calibres et de toutes les espèces d'obus ; j'ai fait connaissance avec les obus lacrymatoires, j'ai pleuré et me suis frotté les yeux pendant des heures ; heureusement que nous avons tout ce qu'il nous faut pour nous protéger contre ces saletés ; nous ne sommes pas mal à part cela parce que les Boches ne nous bombardent pas si nous sommes trop près d'eux, nous travaillons justement à faire des tranchées. Je ne sais pas trop ce que l'on va faire. Nous sommes ahuris de fatigue et de bruit surtout.
Je vous recommande de commencer les petits envois car on la pile, comme disent les soldats. Mettez-moi aussi des petits réchauds d'alcool solidifié pour au moins faire chauffer mon café que je bois seulement tiède parce que je ménage les bougies.
Je vais bien et supporte gaiement tout cela ; nous vivons dans l'espace que nous en [ill.] un de ces jours avec le Boche qui encaisse des obus énormes. J'ai reçu hier ta lettre du 29 et celle du 22. Vous devez avoir quelques nouvelles de moi maintenant.
Je vous embrasse toutes deux bien fort.
Gabriel Breton.

Le 6 [octobre].

Ma chère Maman,
Très près des Boches de ce pays qui sont très mauvais, je vous envoie de mes nouvelles qui sont bonnes. J'ai reçu hier une lettre de maman du 29 me demandant s'il me fallait quelque chose, vous devez avoir maintenant mon cahier de réclamations. Je vais bien. Je pense que nous nous en passerons par ici, c'est assez dur mais ça se tassera ; mais c'est un bien mauvais pays quand même, vous pouvez croire.
Je vous embrasse bien fort.
Gabriel.

Le 7 octobre.

Toujours au même endroit. Il ne fait pas chaud mais je suis toujours fidèle au poste et en assez bonne santé quoique bien fatigué, comme vous pouvez penser ; au milieu de toutes ces péripéties, il y a de quoi devenir enragé ; il ne fait pas trop mauvais heureusement car dans cette craie nous serons comme des goujats, nous ressemblons assez à des boulangers comme cela. Avez-vous de mes nouvelles régulièrement ? Je reçois assez bien vos lettres mais vous n'accusez pas encore réception des lettres de cette période ; je ne sais donc si vous les avez.
Je vais quand même bien et vous embrasse bien tendrement bien fort.
G. Breton.

Le 13 octobre. [lettre très peu lisible, mots parfois délavés]

Ma chère Maman,
Rien de neuf dans notre pas brillante situation, sauf que je pense que nous allons cette fois définitivement, je crois, aller au repos quelque peu ouf, ce n'est pas trop tôt et je suis heureux de penser que je pourrai peut-être me laver et au village [ill.]
Ma pauvre maman, je suis sale à plaisir et j'ai des poux que je m'efforce de détruire comme je peux. Voilà 12 jours que je ne me suis pas changé de chemise ni de linge et je me lave avec un peu d'eau de vie ! Je pense que je recevrai le colis quand je serai au repos à l'arrière, mais je pense qu'il mettra encore quelques jours à arriver.
Ma pauvre maman, nous manquons ici de toutes nouvelles et c'est le plus ennuyeux, point de journaux, point de [ill.] que pense l'arrière de toutes ces choses.
Ma pauvre maman, je vous embrasse bien fort ; je voudrais bien vous voir et vous embrasser un peu ; je crois que je n'ai plus du tout le moral parce que je ne comprends plus rien de ce qu'on fait.
Mon souvenir à tout le monde. Baisers.
Gabriel.

Le 15 octobre 1915.

Ma chère Maman,
Vous allez sûrement vous affoler en lisant cette lettre. Voilà l'affaire ; je suis un peu blessé et c'est de l'ambulance de l'hôpital de Vitry-le-François que je vous écris.
J'ai reçu dans la nuit du 14 un petit éclat de bombe au cou, ça m'a coupé un peu et j'ai saigné comme un poulet ; je n'ai par conséquent pour ainsi dire rien que la blessure heureuse qui me permettra de me reposer.
Maintenant, il est inutile de vous affoler ; je vais sûrement quitter cet hôpital d'ici trois ou quatre jours, peut-être plus tôt, parce qu'il faut de la place aux autres. Alors vous ne pouvez venir ; mais dès que j'aurai un endroit stable je vous écrirai et vous pourrez peut-être venir ; j'aurai sans doute quelques jours de convalescence ; tout est donc pour le mieux.
Je vous écris de mon lit, je suis bien heureux de me reposer après toutes ces aventures.
Je vais attendre la visite pour savoir à quoi m'en tenir et vous indiquer ce que l'on fera de moi.
Je viens de prendre un bain et je vais manger ; je vais faire partir cette lettre dès maintenant. Dès que vous l'aurez reçue, tâchez de m'envoyer si vous pouvez un mandat télégraphique de 50 F. Je n'avais pas un sou sur moi quand j'ai été blessé et je n'ai pu rejoindre ma cantine.
Surtout, ne vous affolez pas ; je vais bien et vous devez plutôt être contentes de cela qu'autre chose parce que je vais me reposer un peu.
Je vous embrasse bien fort et je pense bientôt vous voir d'une manière ou de l'autre.
G. Breton, s.lieutenant 56e, Hôpital Mixte, Vitry-le-François, Marne.

Gabriel Breton a reçu deux éclats d'obus dans la nuque et il a perdu beaucoup de sang. Il est soigné d'abord à Vitry-le-François, ensuite à l'hôpital japonais de Paris, où il est opéré. L'année 1915 se terminera pour lui en convalescence à Paris et à Decize. Les lettres qui suivent, ont été écrites par Marguerite Breton et par le capitaine Girod.

Paris, le 23 octobre 1915, 9 h du matin.
Lettre de Marguerite, sur papier à en-tête de l'Hôtel Lutetia, 43, bd Raspail.

Ma chère Maman,
Vite un petit mot. Je vais bien. Suis avec Mme Piettre qui reste ici jusqu'à mardi. Vu oncle hier, ahuri naturellement. Je vais déjeuner à 10 h chez eux et Jacques m'embarque à la Gare de l'Est.
Oncle a, paraît-il, fait une nouvelle démarche car la première était qq peu endormie.
Pars midi ; si Gabriel n'est plus là-bas, je reviendrai ce soir ou Mme Piettre m'attendrait car elle ne se couche qu'à 11 h. Je me ferais donc ramener au Lutetia.
De toutes façons je t'enverrai un télégramme de Vitry.
Guite.

Dimanche matin [lettre de Marguerite Breton] 24 octobre 1915.

Ma chère maman,
Me voici donc près du grand qui va aussi bien que possible, tellement bien que le chirurgien d'ici voulait lui donner huit jours de permission et le renvoyer au front sans passer par le dépôt. Il a de très petits éclats dans le cou qui le gênent guère.
Mon oncle m'a dit qu'il avait fait une nouvelle démarche près du ministre pour le faire venir à Paris immédiatement.
Nous attendons donc. Mon installation est très drôle. A l'arrivée en gare, j'ai trouvé le Dr Petit qui m'a dit que sa femme m'attendait une rue plus loin, mais je ne devais pas marcher à côté de lui car j'aurais pu lui causer des ennuis. J'ai donc suivi à distance et nous avons raté madame Petit ; nous avons été aussi jusqu'à l'hôpital et là, très rapidement, il m'a donné rendez-vous à 5 h à l'église.
À 5 h l'église était pleine et toute noire ! C'était la prière ; naturellement je n'ai pas trouvé Mme Petit. Enfin, en sortant, je l'aperçois. Elle me dit qu'elle avait trouvé une chambre pour moi. Je vais d'abord te télégraphier, puis visa de la Marne, retour à la poste. Nous allons enfin voir la chambre. On nous donne les clefs en nous disant d'aller voir. Promenade en ville et arrivée dans une maison ; on a la clef de la porte et la clef de la chambre. Nous entrons dans la chambre qui est toujours habitée par un major ! Stupeur. On rend les clefs et je reviens à l'hôpital où je m'entends avec la sœur pour une autre chambre. Il est 7 h, elle me confie à deux dames qui m'emmènent dîner et me ramènent dans un autre logement pour dormir.
8 h, j'ai enfin un lit. Je dors jusqu'à ce matin 7 h ; tout va donc bien. Je suis chez une vieille fille et il n'y a que des dames dans la maison.
Je vais aller chercher ma malle qui est toujours en gare et faire manger le grand. Ils sont très bien nourris dans cet hôpital : hier soir bouillon, huîtres, veau en sauce, nouilles, riz au lait, raisin ; seulement c'est le régime officier et c'est de beaucoup supérieur à l'autre.
Il se trouve très bien. La salle tient une douzaine de lits (genre salle II), aussi sale comme parquet et aspect général ; il n'y a que des lieutenants dans cette salle ; à côté ce sont des capitaines et supérieurs.
Ma chère maman, ça va très bien ; attendons avec confiance la suite.
Je t'embrasse.
Guite.

24 octobre 1915.

J'ai oublié dans ma lettre de te donner mon adresse : chez Mlles Herbin, 10 rue de l'Arquebuse, Vitry.
Ma chambre est très drôle, on m'a dit que c'était une chambre de jeune fille. La garniture de cheminée se compose d'une énorme cloche en verre sous laquelle il y a une couronne de fleurs d'oranger !!!!

26 octobre 1915.
Lettre du capitaine Michel Girod, postée d'Uriage, Isère.

Madame,
C'était de mon devoir de vous écrire pour vous donner des nouvelles de votre fils et vous dire en même temps la peine que j'ai eue en apprenant qu'il était blessé. Mais n'ayant su que d'une façon assez vague la blessure qu'il avait et ayant été moi aussi évacué aussitôt après votre fils, je ne pouvais vous renseigner d'une façon bien exacte et je craignais de vous inquiéter plus encore que vous ne l'étiez.
Je viens de recevoir une lettre de mon camarade et suis heureux de savoir de lui-même qu'il n'est pas grièvement blessé. Après les longs mois de campagne qu'il vient de faire, il a bien droit à un peu de repos et je suis sûr que le temps qu'il passera bientôt dans sa famille aura vite fait de le rétablir complètement.
Je sais les dures journées que votre fils a passées en Champagne avant d'être blessé. Il s'y est comme toujours vaillamment conduit et son départ qui a été une perte pour la compagnie a été également un sujet de tristesse pour tous. Je peux vous dire en effet la peine qu'ont éprouvée les soldats en voyant partir leur lieutenant, les regrets qu'il a emportés avec lui sont le plus bel éloge qu'on puisse faire de votre fils et c'est pour cela que j'ai tenu à vous en faire part.
Je suis pour le moment immobilisé par un accident malencontreux ; j'espère ne pas tarder à rejoindre mon régiment et mon plus grand désir est de retrouver ma compagnie et tout particulièrement votre fils.
Je souhaite très ardemment que mon camarade se remettra bien vite et que son état ne vous cause pas d'inquiétudes.
Veuillez agréer, je vous prie, madame, l'hommage de mon plus profond respect.
Girod.

Le capitaine Michel Girod commandait en octobre 1915 la 10e compagnie du 56e R.I.

Une citation.

Le 10 novembre 1915.

Ma chère Maman,
Je viens de recevoir le papier me donnant mon avis que j'étais cité à la division avec une citation pour laquelle d'autres auraient la croix, mais il paraît sans doute que pour moi ce n'était pas assez. Voici le texte : « Au régiment depuis le début de la guerre, successivement sergent, adjudant de bataillon, puis s/lt [sous-lieutenant], a fait preuve de la plus grande énergie dans toutes ces situations successives. Grièvement blessé le 14 oct dans une attaque de nuit en défendant victorieusement un barrage qui lui était confié. »
Le commandant Fischer m'avait proposé à l'armée ainsi que le général de brigade et le général de D.I. [Division].
Madame Bichon doit venir me voir ce soir avec Jacqueline, très aimable, j'ai promis une visite quand je passerai par Nevers.
Aujourd'hui fête de l'Empereur(1), grande animation à l'hôpital et en somme bonne journée ; je suis très embêté de ne pas avoir mes affaires parce que je pense sortir d'ici peu ; enfin, tant pis, je sortirai comme je suis.
Je pense être vers vous à la fin de la semaine prochaine, c'est-à-dire vers le 20, 25.
Mon cou va bien, on a commencé à le découdre et d'ici peu de jours ce sera terminé.
Reçu un mot de Guite ce soir, où elle m'annonce sa rentrée à son hôpital.
Vu aussi hier André Hanoteau qui ne cause pas plus qu'avant.
Je vous embrasse bien fort toutes deux.
Gabriel.

Le 15 [novembre 1915].

Ma chère Maman,
Hier première sortie par un très beau temps, tout à fait. J'ai été voir l'oncle et la tata a été enthousiasmée ; on n'a pas voulu me lâcher et la tata a voulu se promener avec moi ! ce dont... Elle m'a pris le bras dans la rue et m'a exhibé à tous les fournisseurs, ce dont... Enfin je me suis déclaré fatigué et j'ai pu prendre le métro.
Dimanche séance et bonne soirée au Japonais. Vu pendant ce temps les deux oncles, mais très peu de temps. Ferdinand m'envoie des brochures et des idioties mais je ne lui en veux pas, il me pensait un peu malade quant au cerveau.
Aujourd'hui je vais ressortir un peu mais la neige tombe. Vous pouvez vous attendre à me voir arriver soit vendredi ou samedi, soit mardi ou mercredi, suivant que je passerai devant mes juges jeudi ou lundi.
Ma cantine n'est pas au dépôt encore, c'est navrant ; et je ne l'aurai peut-être pas à Decize. Je vais bien ; je suis assez faible quand je me promène, mais mes forces reviennent très vite et mon cou va tout à fait bien maintenant.
Ma chère maman, et ma grande sœur, je vous embrasse bien fort.
Gabriel.

Le 18 novembre 15.

Ma chère Maman,
Je pensais passer aujourd'hui la visite médicale et je pensais que l'on allait statuer sur mon sort, mais il n'en est rien, je passerai probablement samedi et lundi ; je vais naturellement de mieux en mieux, la plaie de mon cou est totalement guérie et je ne sens plus qu'une certaine raideur et quelques douleurs quand j'avale trop vite et c'est tout. [...]

Le 22 [novembre 1915].

Ma chère Maman,
Je suis bien navré d'avoir à vous annoncer une nouvelle qui va vous faire un très grand plaisir : j'ai exactement deux mois de convalescence. Le général m'a dit aimablement que j'étais crevé et m'a donné l'ordre formel d'avoir à me reposer ; j'en ai presque pleuré parce que vraiment je ne me croyais pas si fatigué que cela. Ma pauvre maman, ces 14 mois de guerre m'ont donc si abîmé que cela, je ne peux pas le croire ; enfin je pense quand même pas avoir besoin de ces deux mois et qu'au bout de quelque temps ça ira mieux.
Il faut que Guite se dévoue absolument et vienne me chercher ; d'abord ça m'a flanqué un coup de m'entendre dire cela ; il faut donc que Guite vienne avec mon uniforme neuf pour que je puisse me faire photographier et me promener avec elle. Je veux aussi qu'elle m'emporte tous mes meilleurs clichés, pellicules cette fois, pour que je puisse m'occuper à Decize à bricoler et faire de la photo et les albums que je veux offrir. Je partirai de Paris samedi matin, je n'aurai mes papiers que vendredi dans la journée.
Vous recevrez cette lettre demain. Guite peut donc être là mercredi et j'y compte absolument. Ma pauvre maman, tu peux donc apprêter tes dindes, tes poulets et tout le reste pour me gaver puisque j'en ai reçu l'ordre. Je suis bien vexé et bien navré, quand même c'est pour me remettre que je veux voir un peu ma chère sœur qui doit me soigner avant de soigner les autres.[...] J'attends donc un télégramme et je vous embrasse bien bien fort.
Gabriel Breton.

(1) L'Empereur du Japon Taisho Tenno, puisque Gabriel Breton est soigné dans un hôpital qui dépend de l'Ambassade du Japon.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 19 octobre 2015 à 14:20 (CEST)