Attaque à Saint Benin d'Azy

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La tragique journee du lundi 4 septembre 1944 à Saint-Benin-d’Azy

  • Allocution prononcée en l’Eglise paroissiale le dimanche 10 septembre 1944 par l’Abbé Pierre Chamouard, curé-doyen
  • Augmentée de notes complémentaires en bas de page d’après le récit des otages


En dépit.de la sécurité trompeuse dont elle se leurrait [1], notre population a connu, le vendredi 1er septembre et surtout le lundi 4 septembre, deux retours imprévus de l’ennemi qui auraient pu l’ensevelir dans les ruines et dans la mort comme d’autres localités nivernaises.

Le vendredi 1er septembre, dès 7 heures du matin, Azy était occupé par une colonne allemande paraissant solidement organisée et puissamment armée. Dès le premier instant, une initiative heureuse [2] faisait connaître à un officier que la population était calme. Une décision rapide enlevait la trace des imprudences commises la semaine précédente. Dans l’entrevue que j’eus au cours de la matinée avec le commandant du détachement pour demander que la population n’eut pas trop à souffrir de cette nouvelle occupation, il me déclara qu’il serait correct dans la mesure où le seraient les habitants, mais qu’au moindre incident il répondrait par le canon. Il me donna toutefois la promesse de ne pas prendre de sanctions contre le pays sans me faire appeler dans le cas où se produirait un incident imprévu. Mon devoir était de vous prévenir, je l’ai fait, et dimanche dernier, ici même, je vous ai demandé de rester calmes et dignes dans les différentes éventualités qui pourraient encore se présenter.

Pourquoi faut-il que le lendemain même, au passage d’une nouvelle colonne, éclata un incident très grave dont les conséquences auraient pu être la mort de beaucoup d’entre nous et la destruction du pays ? Au sujet de cet incident, il ne m’appartient pas de dire ici ni par qui, ni pourquoi, ni où, ni comment il s’est produit.

Donc, lundi matin, à 8 heures, dans le bourg gardé à toutes ses issues, s’engageait une colonne ennemie. Au milieu de la grand’rue éclataient des coups de feu, faisant huit blessés et provoquant une réaction immédiate des soldats allemands dont les mitrailleuses crépitaient en direction des maisons d’où l’on semblait avoir tiré. Première réaction suivie bientôt d’une autre plus terrible. Sous la conduite de leur chef, les soldats encadrent la place de l’église, douze otages ont été arrêtés, au premier rang desquels le maire [3] et l’institutrice [4], et groupés à proximité du Monument aux Morts, pendant que vont s’effectuer dans les maisons suspectes les perquisitions brutales que vous connaissez, sous la menace du canon et des mitrailleuses. Minutes angoissantes. L’officier allemand est exaspéré, furieux, il regarde les otages et on entend les affreuses paroles : «  Je vais faire fusiller ces canailles » ; « ces bandits méritent d’être fusillés » [5]. Les perquisitions sont terminées et n’ont pas donné de résultat. Les otages sont prévenus qu’ils devront se rendre à 20 heures, à l’exception des femmes, au cantonnement du Vieux-Château, sans quoi le pays sera incendié. L’heure est tragique. Tout semble perdu. Aucune intervention ne paraît possible. Aucune personnalité, si grande que soit sa situation sociale ou son autorité morale, n’a chance d’être entendue . Les sentinelles ne laissent passer personne. Il faut autre chose. Et cet « autre chose » nous fut réservé par la Divine Providence.

La Société Internationale de la Croix-Rouge de Genève a des Sections nationales dans tous les pays et permet aux belligérants de prendre contact entre eux pour le plus grand bien des prisonniers et des blessés sans rien abdiquer de leur patriotisme particulier.

La Croix-Rouge Française est noblement représentée ici. Sa déléguée cantonale [6], que les sentinelles ont laissé passer en raison de son uniforme d’infirmière, arrivait en ce moment sur la place et abordait le chef allemand, lui en imposant tout de suite, et le dominant même. Intervention décisive qui en permettra d’autres et sauvera le pays. Vraiment le doigt de Dieu est là. D’urgence il faut s’occuper des blessés. Le détachement allemand n’a pas de médecin. Un des nôtres est appelé [7] qui se rend en hâte auprès des blessés qu’on a couchés sur la pelouse du Vieux-Château. Avec un dévouement total il leur prodigue les premiers soins. Deux d’entre eux doivent subir une intervention rapide pour être sauvés. Il les conduira seul à l’Hôpital de Nevers dans sa voiture personnelle, sous le pavillon de la Croix-Rouge [8]

Le blessé le plus gravement atteint est catholique [9], la médaille de le Sainte-Vierge qu’il porte sur la poitrine ne laisse aucun doute; il peut mourir d’un moment à l’autre, il demande les secours religieux, et bientôt, à la bonté humaine de l’infirmière et du médecin , s’ajoutera la charité divine du prêtre qui va purifier cette âme et la plonger dans la paix du Christ qui aima tous les hommes. La cérémonie de l’Extrême-Onction, que tous les assistants ont suivie dans un silence respectueux, est terminée. Le commandant traverse la pelouse, arrive au chevet du blessé, se penche sur lui et lui parle doucement. Il paraît plus calme et plus apaisé.

Néanmoins, l’heure est toujours lourde d’angoisse. Un officier vient de me dire que la décision de fusiller les otages et de brûler le pays n’est pas rapportée. Je m’élève avec force contre une mesure injustifiable qui va semer la mort dans une population innocente. Le maire, prévenu de ce que je viens d’apprendre, procède à une enquête sur l’attentat du matin, dont ensemble nous apporterons les résultats vers 5 heures. Les conclusions sont formelles, ce n’est pas un habitant du pays qui a tiré.

Quelques instants après, revenu de Nevers où il a été mitraillé sur la route par une escadrille d’avions et a échappé par miracle à la mort, le docteur fait savoir que le blessé a été opéré par un chirurgien français et qu’on a bon espoir de le sauver [10]. Cette bonne nouvelle accentue chez nos ennemis la détente et l’apaisement ; il ne sera plus question de fusiller ni d’incendier. La charité, le dévouement à ses soldats blessés ont paralysé dans l’âme du chef l’esprit de vengeance.

Nous le constaterons quand à 20 heures, dans le cantonnement du Vieux-Château, les otages arrivent au rendez-vous fixé par le commandant. Sa physionomie est moins rude, sa voix plus humaine. Il fait connaître sa décision : cinq otages vont être libérés [11], les cinq [12] sont retenus pour couvrir la colonne pendant l’étape de nuit, marche éprouvante de plus de 40 kilomètres sous le danger mortel des embuscades, épreuve pénible qu’ils subiront avec courage et avec foi.

Dieu soit béni ! Saint-Benin était sauvé ! [13])


  • Saisie : Jean Luc Durand – 1 février 2021



  1. On avait cru et proclamé Saint-Benin-d’Azy définitivement libéré
  2. Initiative prise par S.A.S la Princesse de Croy-Soire
  3. M. Clément Theuriot
  4. L’institutrice, Mlle Hélène Rozières, a été arrêtée la première à son domicile et obligée de conduire les soldats chez le maire, M. Clément Theuriot, qui bien que n’exerçant plus les fonctions, accepta les responsabilités municipales devant l’ennemi. Dirigés brutalement au cantonnement du Vieux-Château, ils ont une attitude digne et ferme devant la violence inouïe du commandant. Pendant qu’on les ramène au bourg, les autres otages sont arrêtés sur la route ou dans les maisons, au hasard : Guy Rousseau 20 ans), Edmond Veau (2 enfants), André Bienvenu 18 ans), Chef (étranger de passage), Paul Dugué (5 enfants), Marcel Rosette, mutilé du travail (2 enfants), Charles Humann (4 enfants), ancien prisonnier de guerre qui parle allemand et saura donner des explications habiles et efficaces, Mlle Jeanne Glachet, artiste peintre, Pierre Pigenet, blessé de guerre, et enfin Etienne Theuriot (17 ans) que deux sentinelles sont allées prendre au domicile de son père.
  5. Pendant ces instants tragiques, leur attitude est magnifique. Calmes devant les mitrailleuses braquées sur eux, un sentiment profond de Foi et d’Union s’élève de leurs âmes. Ils disent une prière, se recommandent à Dieu, s’embrassent et attendent la mort à laquelle ils vont échapper par miracle (Note des otages)
  6. S.A.S la Princesse de Croy-Soire
  7. M. le docteur Octave Franck-Bernard
  8. Cette colonne allemande, ou plutôt ce tronçon de colonne, suffisamment muni de mitrailleuses, de mortiers et de plaques incendiaires pour nous faire beaucoup de mal, n’avait plus à sa disposition les services indispensables à une troupe en campagne. En particulier, pas d’ambulance automobile pour l’évacuation des blessés, d’où le geste généreux du docteur.
  9. Soldat d’origine polonaise
  10. Il est mort quelques jours plus tard, le 15 septembre, après une deuxième opération (Renseignement fourni par l’Hôpital de Nevers). Peut-être aussi la crainte salutaire des Maquis…
  11. MM. Clément Theuriot , Edmond Veau, Chef, Pierre Pigenet et Marcel Rosette
  12. MM. Charles Humann, Paul Dugué, Etienne Theuriot, Guy Rousseau et André Bienvenu
  13. Placés à découvert en avant de la colonne, sous la menace qu’ils seront fusillés en cas de défaillance ou de tentative de fuite, ils marcheront toute la nuit à bonne allure pressés par le rude commandement souvent répété : « Plus vite ! ». Ils évitent les dangers des embuscades dans la traversée des bois en parlant haut et clair pour prévenir les camarades de la Résistance. Ils endurent la fatigue, la soif. Ils quittent leurs chaussures qui les gênent et marchent pieds-nus jusqu’au terme de leur dure épreuve qu’ils ont supportée vaillamment, « à la française ». A proximité de Château-Chinon, on leur annonce leur mise en liberté et ils envisagent avec une joie indicible la possibilité du retour immédiat à Saint-Benin. Retour qui s’effectuera par étapes dans l’accueil le plus touchant qu’on leur réserve dans les localités où ils passent. Et c’est dans la soirée du mercredi 6 septembre l’arrivée à Sant-Benin. Sur la route de Magereuil, ils seront reçus par les habitants du bourg dans l’allégresse générale, dans la ferveur patriotique et religieuse de la plus grande émotion. Oubliant leur extrême fatigue, ils remercient avec effusion ceux qui ont contribué au salut du pays et tous les habitants dont la sympathie leur est si précieuse. Cette manifestation couronne dignement ce retour des otages après les angoisses vécues depuis deux jours. Saint-Benin ne saurait désormais oublier ni les dangers courus, ni les mortelles inquiétudes éprouvées, ni la protection providentielle dont il a été favorisé (Note des otages).