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*Le drapeau français déployé [[Decize place de la mairie|<u>place de la Mairie</u>]] à [[Decize|<u>Decize</u>]]. Un tableau haut en couleurs qui a marqué samedi l'envoi des cérémonies officielles du cinquantenaire de la libération. Une commémoration qui, à [[Decize|<u>Decize</u>]], a revêtu un caractère très solennel.<br> Une quinzaine de porte-drapeaux des associations locales d'anciens combattants étaient présents, aux côté des élus, du corps des sapeurs-pompiers de [[Decize|<u>Decize</u>]] et de la Croix-Rouge locale. La Batterie-Fanfare municipale donnait le ton du rassemblement.<br> « [[Decize|<u>Decize</u>]] n'a pas voulu oublier la joie de sa libération », a prononcé Jean-Noël Le Bras, [[Decize maires|<u>maire de la commune</u>]], devant le [[Decize monument aux morts|<u>Monument aux Morts</u>]]. « Ceux qui se sont battus, ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, a-t-il insisté, doivent laisser, cinquante ans après, un témoignage concret et permanent. »<br> Henri Laurent a vécu la libération de [[Decize|<u>Decize</u>]]. À l'âge de 76 ans, il est venu en camping-car, tout spécialement de Menton, pour assister aux cérémonies commémoratives du cinquantenaire. Cet ancien combattant de la colonne Schneider tenait un journal heure par heure. [...] « Notre mission était de pourchasser les Allemands qui en ce soir du 6 septembre tenaient encore la rive droite de la [[La Loire|<u>Loire</u>]], de Bourbon-Lancy à [[Luzy|<u>Luzy</u>]], en passant par [[Decize|<u>Decize</u>]], retrace-t-il. Le 8 au soir, Thollon avait pris la décision de détruire le pont de Decize. La mission fut confiée à la compagnie Goaille. »<br>
*Le drapeau français déployé place de la mairie à [[Decize|<u>Decize</u>]]. Un tableau haut en couleurs qui a marqué samedi l'envoi des cérémonies officielles du cinquantenaire de la libération. Une commémoration qui, à [[Decize|<u>Decize</u>]], a revêtu un caractère très solennel.<br> Une quinzaine de porte-drapeaux des associations locales d'anciens combattants étaient présents, aux côté des élus, du corps des sapeurs-pompiers de [[Decize|<u>Decize</u>]] et de la Croix-Rouge locale. La Batterie-Fanfare municipale donnait le ton du rassemblement.<br> « [[Decize|<u>Decize</u>]] n'a pas voulu oublier la joie de sa libération », a prononcé Jean-Noël Le Bras, [[Decize maires|<u>maire de la commune</u>]], devant le [[Decize monument aux morts|<u>Monument aux Morts</u>]]. « Ceux qui se sont battus, ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, a-t-il insisté, doivent laisser, cinquante ans après, un témoignage concret et permanent. »<br> Henri Laurent a vécu la libération de [[Decize|<u>Decize</u>]]. À l'âge de 76 ans, il est venu en camping-car, tout spécialement de Menton, pour assister aux cérémonies commémoratives du cinquantenaire. Cet ancien combattant de la colonne Schneider tenait un journal heure par heure. [...] « Notre mission était de pourchasser les Allemands qui en ce soir du 6 septembre tenaient encore la rive droite de la [[La Loire|<u>Loire</u>]], de Bourbon-Lancy à [[Luzy|<u>Luzy</u>]], en passant par [[Decize|<u>Decize</u>]], retrace-t-il. Le 8 au soir, Thollon avait pris la décision de détruire le pont de Decize. La mission fut confiée à la compagnie Goaille. »<br>
::(''Le Journal du Centre'', lundi 12 septembre 1994)<br>
::(''Le Journal du Centre'', lundi 12 septembre 1994)<br>
*J'ai rencontré M. Laurent ce jour-là après la cérémonie, et le lendemain chez moi. Il m'a longuement expliqué le rôle de la colonne Schneider, venue de Toulouse et de Clermont-Ferrand pour servir de soutien à la Première Armée Française, chasser les derniers occupants et surtout bloquer le repli du groupe Elster. Je n'avais eu jusqu'alors que très peu de renseignements sur cette période de la Libération, je m'intéressais surtout depuis plusieurs années au XVIII<sup>e</sup> siècle et à la Révolution Française. Nous avons eu une longue conversation ; par la suite, M. Laurent m'a fait parvenir plusieurs courriers, une photocopie de ses notes et trois numéros de la revue ''Jeunesse et Montagne''.<br> « Le mouvement ''Jeunesse et Montagne'' peut être défini comme le pendant Aviation des Chantiers de la Jeunesse. Mouvement paramilitaire créé en 1940 d'une part pour maintenir groupés les cadres de l'Armée de l'Air, d'autre part pour faire effectuer un service national, analogue à celui des Chantiers, aux jeunes attirés par les carrières de l'Aviation.<br> La vie en haute montagne, suivant une formule d'équipes de 25 jeunes installés dans des chalets d'altitude (en somme, analogue à celle des sections d'éclaireurs-skieurs), avait été jugée développer les qualités requises pour devenir navigants dans l'Armée de l'Air.<br> Les cadres de ''Jeunesse et Montagne'' étaient dans leur majorité acquis à la Résistance et relevaient de l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) depuis la rupture en 1942 de l'Armistice.<br> Le commandant Thollon, pilote de chasse, as de 1940 (9 victoires), était le chef le l'École des Cadres de ''Jeunesse et Montagne''. École installée à Chamonix, mais chassée par l'occupant en avril 1944 pour être repliée et dissoute en Auvergne, à Theix, près de Clermont-Ferrand.<br> Le commandant Thollon et son école rejoignirent le maquis le premier juin 1944, ayant réussi en mai à louvoyer sur place – en attendant l'ordre de mobilisation de l'O.R.A.. Le commandant Thollon prit le pseudonyme de commandant ''Renaud''.<br> Aux ordres du colonel Fayard (pseudonyme ''Mortier''), ''Renaud'' et les siens participèrent aux combats de la libération en Auvergne, puis à la libération de Lyon et enfin à celle du Bourbonnais, avant de rejoindre en octobre et novembre 44, pour partie la Première Armée Française, pour partie l'Armée de l'Air.<br> Ils avaient été rejoints en Auvergne par des éléments de l'Armée Secrète (1/4 des effectifs, qui étaient de 1200 hommes à la Libération), par de nombreux engagés volontaires, par des éléments de ''Jeunesse et Montagne'' remontés depuis les Alpes, et enfin, lors des opérations en Bourbonnais, par des éléments de la garnison de Vichy acceptés par le Commissaire de la République<small><sup>(1)</sup></small>. »<br> Henri Laurent est secrétaire du commandant Robert Thollon, qu'il accompagne dans tous ses déplacements. Les 4 et 5 septembre 1944, l'État-Major de la Division Légère d'Auvergne se réunit à Clermont-Ferrand. Ils se mettent sous les ordres du colonel Jean Schneider, venu de Toulouse avec des résistants du Sud et du Massif Central. Au total près de 8000 hommes, dont la plus grande partie va rejoindre la Première Armée Française de De Lattre, entre Mâcon et Chalon.<br> Les 700 hommes de la D.L.A., commandés par le colonel Fayard-''Mortier'' sont répartis en sept colonnes rapides ; ils disposent de voitures individuelles et de camions réquisitionnés ou récupérés sur les Allemands. Deux colonnes rapides doivent longer la [[La Loire|<u>Loire</u>]], à l'Ouest le Groupement Colliou, à l'Est la C.R.6 du commandant Thollon-''Renaud''. Les premiers points de ralliement sont Le Donjon, Digoin et Gannay. Ils doivent faire miner les ponts de Bourbon-Lancy (Le Fourneau), Gannay et Decize, et les faire exploser si nécessaire, pour bloquer la progression d'une forte colonne allemande en repli depuis le Sud-Ouest.<br> « Nous partîmes, Thollon et moi, dans la Traction 15 au début de l'après-midi [du 9 septembre] pour Gannay et [[Decize|<u>Decize</u>]]. Chemin faisant, Thollon me dit que l'initiative de mise à feu restait entre nos mains, par ordre du colonel ''Mortier''. [...] C'était, me dit-il, la préoccupation du colonel ''Mortier'', autant que la nôtre, de limiter la destruction à l'indispensable.<br> À Gannay, courte inspection des lieux. Les gendarmes de Perrin sont à l'œuvre ; ils assurent eux-mêmes le minage avec le concours de quelques artificiers. Les dispositions qu'a prises Perrin à droite et à gauche du pont satisfont Thollon : cet officier, visiblement, connaît son métier.<br> À [[Decize|<u>Decize</u>]], longue conférence avec Goaille. Il a installé son P.C. dans un café au centre de la vieille ville, à environ 300 mètres de l'entrée d'un pont. De là, nous dit-il, un lacis de rues en éventail lui permettra de joindre les siens, qui sont échelonnés le long de la [[La Loire|<u>Loire</u>]]. Son alter ego Doléac, la tête enrubannée mais remis de son accident du 7<small><sup>(2)</sup></small>, assurera les liaisons permanentes. Les sections Sabatié et Angot sont déployées au coude à coude au centre du dispositif, face au pont. La section Honnilh l'est aussi, mais un peu décalée, en retrait ; un groupe a pris position avec une mitrailleuse récupérée, quelques F.M. et une provision de fusées éclairantes, sur une terrasse exiguë, avancée d'un couvent de Religieuses<small><sup>(3)</sup></small> (aussi inquiètes que courageuses...) ; un autre à environ 100 mètres du pont et servant notre unique pièce d'artillerie, un petit canon de tranchée, souvenir de 14-18, récupéré, avec quelques munitions, dans un château voisin.<br> Flanquant Sabatié en aval, Caillaud et les siens et, plus loin face à un gué signalé par les riverains et non loin d'une écluse, la compagnie polonaise du lieutenant Kierwack. En amont, au Sud, la section Malignas... Chacun est occupé, avec pleine initiative, à organiser son secteur et à la fortifier en utilisant de vieux bâtiments en ruines et des restes de remparts (car d'importantes destructions ont eu lieu en 1940, celles du pont, dont la reconstruction n'est pas achevée ; il manque des rambardes, et l'explosion de l'époque a soufflé des bâtiments voisins, qui sont restés en l'état).<br> Nous nous rendons avec Goaille sur le pont. Il est environ 17 heures. Le premier que je vois est Malignas, fort occupé avec Saurel (spécialisé dans les explosifs) et avec le détachement du Génie qui est arrivé en début d'après-midi avec des caisses d'explosifs récupérés, me dit-on, sur des stocks allemands en Forêt de Tronçais. [...]<br> Le dispositif de mise à feu de l'explosion du pont est prévu, nous dit Sabatié, à proximité de sa tour et sera commandé par un assez long cordon qui franchira le chemin de halage, tendu sur deux poteaux, et se terminera par un cordon Bickford à effet différé de 30 secondes. [...]<br> Un moment pénible nous était réservé : l'intervention suppliante du propriétaire des maisons situées à proximité du pont, soufflées en 1940 et difficilement remises en état depuis. Se sont joints à lui des Decizois auxquels la destruction du pont rendrait la vie aussi difficile qu'elle l'avait été pendant de longs mois après juin 1940. Tous nous prient instamment d'éviter une nouvelle explosion du pont qui ruinerait ces longs efforts. Thollon  leur dit simplement : « Nous ne tenons pas plus que vous à voir détruire ce pont qui fait partie de votre patrimoine. Nous ne le ferons qu'en cas de nécessité absolue. Songez, toutefois, à ce que pourra devenir votre ville si l'ennemi force le passage ! »<br> Henri Laurent et le commandant Thollon repartent à Cronat vers 20 heures. À 4 h 30, le 10 septembre, ils sont alertés : les Allemands sont aux abords de [[Decize|<u>Decize</u>]], l'attaque redoutée se prépare. Thollon, Laurent et de Nervo s'engouffrent dans la Traction 15 ; ils sont à [[Decize|<u>Decize</u>]] au P.C. de Goaille à 6 h 40.<br> « J'écoute ce que disent plusieurs des nôtres : Malignas, Sabatié, Angot, Honnilh et aussi Kierzack. Tous ont vécu dans le noir - sauf lors d'un véritable feu d'artifices de fusées éclairante, et à la lueur des tirs -  un combat qui a été vif, et qu'ils ont mené en concentrant leurs feux croisés sur un objectif commun : le débouché de la route R. N. 478 de [[Saint Pierre le Moûtier|<u>Saint-Pierre-le-Moûtier</u>]] qui, traversant, bordée de maisons, le Faubourg d'Allier, aboutit au pont. Chacun l'a vécu dans l'optique de sa position : l'excitation est grande et les propos divergent.<br> L'accord est cependant général sur plusieurs points : c'est entre minuit et une heure du matin que l'alerte fut donnée par des coups de feu en provenance du faubourg d'Allier où une patrouille avancée avait été envoyée. Cette patrouille ne se manifestant pas, à la grande inquiétude des avant-postes, le combat ne commença qu'après cette alerte et un long silence qui suivit ; il dura entre trois et quatre heures, avec des accalmies, pendant lesquelles l'ennemi modifia sa tactique, notamment par la mise en œuvre d'une pièce d'artillerie (vraisemblablement un canon anti-char tracté par un engin mécanique) et des mortiers qui se déployèrent à gauche et à droite. Ils y eut plusieurs coups au but, en particulier sur le bâtiment qui abritait les hommes d'Angot ; les travaux de colmatage réalisés la veille se montrèrent très efficaces, notamment contre les ricochets de minen.<br> Tous, en tous cas, virent des silhouettes se profiler à l'entrée du pont et entendirent des ordres criés. Il y eut une brève tentative allemande de s'engager sur le pont, après une intense préparation de tirs de mortiers et d'armes automatiques. Elle fut enrayée par nos tirs croisés de F.M. et de la mitrailleuse, ainsi que du canon de tranchée qui tira jusqu'à épuisement depuis la terrasse du couvent. On entendit des hurlements de blessés...<br> C'est alors que le pont sauta ! L'ennemi ne se manifesta plus que sporadiquement après l'explosion, qui intervint donc presque en fin d'engagement. Une accalmie permit alors à quelques uns des nôtres, dont Caillaud, de risquer un bref combat à l'entrée Est du pont. De leur côté, les Polonais ouvrirent le feu contre des patrouilles déployées face au gué dont ils avaient la garde – qui n'insistèrent pas. Tout comme les patrouilles qui avaient été prises à partie en aval de l'île par Dupuy et les siens<small><sup>(4)</sup></small>.<br> [...] Je juge utile, pour éclairer la genèse de l'ensemble, de produire le récit que m'a donné ultérieurement, en présence de Goaille, le responsable d'un commando de six hommes, tous volontaires, comme leur chef Moga – un Toulousain d'origine espagnole, ex-combattant de la Guerre Civile, qui nous avait ralliés depuis le Cantal et dont l'audace en plusieurs circonstances l'avait fait apprécier de tous. Ses cinq compagnons étaient De Bretagne, Saurel, Gambotti (tous trois de ''Jeunesse et Montagne''), Chassagne, Detouche. Ils reçurent, à la tombée de la nuit, la mission d'éclairer, au-delà du pont, la route de [[Saint Pierre le Moûtier|<u>Saint-Pierre-le-Moûtier</u>]], en allant donc au-devant de l'adversaire, et de se replier à son contact en nous donnant une alerte discrète. Un mot de passe était convenu. Moga partit vers 23 heures avec ses compagnons. Detouche fut placé à l'entrée Ouest du pont avec un F.M., à l'abri très relatif d'une borne. Saurel, Gambotti et De Bretagne furent postés dans une maison abandonnée à quelque distance. Quant à Moga et Chassagne, ils avancèrent sans bruit (déchaussés) sur 400 mètres environ, jusqu'au moment où ils perçurent des chuchotements non équivoques : ils étaient doublés par d'autres éclaireurs, ennemis ceux-là, cachés dans des fossés, qui avaient vraisemblablement reçu la même consigne de silence... Avec le plus grand calme, nos amis rebroussèrent chemin jusqu'à la maison où les attendaient leurs compagnons. Longue attente. Puis, dans le noir, une silhouette finit par s'approcher, chuchotant un mot de passe qui ressemblait à celui de nos amis (nom d'une ville russe). Notre homme hésite : c'est peut-être un Polonais qui prononce ce mot à sa façon ? Mais un éclair de briquet fait briller des épaulettes allemandes ! Et c'est, tout de suite, le premier coup de feu, fatal à la silhouette ainsi démasquée, suivi par une rafale que lâche Detouche, affolé, avant de se mettre à l'abri sous la pile du pont. Il y passera une nuit fort agitée ! Moga et ses autres compagnons n'ont plus qu'à rejoindre, comme ils le peuvent, la rive droite. Ils le firent à la nage [...] Un des hasards les plus surprenants de cet incident est donc la quasi identité des deux mots de passe – et nos éclaireurs ont eu bien de la chance ! »<br>  
*J'ai rencontré M. Laurent ce jour-là après la cérémonie, et le lendemain chez moi. Il m'a longuement expliqué le rôle de la colonne Schneider, venue de Toulouse et de Clermont-Ferrand pour servir de soutien à la Première Armée Française, chasser les derniers occupants et surtout bloquer le repli du groupe Elster. Je n'avais eu jusqu'alors que très peu de renseignements sur cette période de la Libération, je m'intéressais surtout depuis plusieurs années au XVIII<sup>e</sup> siècle et à la Révolution Française. Nous avons eu une longue conversation ; par la suite, M. Laurent m'a fait parvenir plusieurs courriers, une photocopie de ses notes et trois numéros de la revue ''Jeunesse et Montagne''.<br> « Le mouvement ''Jeunesse et Montagne'' peut être défini comme le pendant Aviation des Chantiers de la Jeunesse. Mouvement paramilitaire créé en 1940 d'une part pour maintenir groupés les cadres de l'Armée de l'Air, d'autre part pour faire effectuer un service national, analogue à celui des Chantiers, aux jeunes attirés par les carrières de l'Aviation.<br> La vie en haute montagne, suivant une formule d'équipes de 25 jeunes installés dans des chalets d'altitude (en somme, analogue à celle des sections d'éclaireurs-skieurs), avait été jugée développer les qualités requises pour devenir navigants dans l'Armée de l'Air.<br> Les cadres de ''Jeunesse et Montagne'' étaient dans leur majorité acquis à la Résistance et relevaient de l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) depuis la rupture en 1942 de l'Armistice.<br> Le commandant Thollon, pilote de chasse, as de 1940 (9 victoires), était le chef le l'École des Cadres de ''Jeunesse et Montagne''. École installée à Chamonix, mais chassée par l'occupant en avril 1944 pour être repliée et dissoute en Auvergne, à Theix, près de Clermont-Ferrand.<br> Le commandant Thollon et son école rejoignirent le maquis le premier juin 1944, ayant réussi en mai à louvoyer sur place – en attendant l'ordre de mobilisation de l'O.R.A.. Le commandant Thollon prit le pseudonyme de commandant ''Renaud''.<br> Aux ordres du colonel Fayard (pseudonyme ''Mortier''), ''Renaud'' et les siens participèrent aux combats de la libération en Auvergne, puis à la libération de Lyon et enfin à celle du Bourbonnais, avant de rejoindre en octobre et novembre 44, pour partie la Première Armée Française, pour partie l'Armée de l'Air.<br> Ils avaient été rejoints en Auvergne par des éléments de l'Armée Secrète (1/4 des effectifs, qui étaient de 1200 hommes à la Libération), par de nombreux engagés volontaires, par des éléments de ''Jeunesse et Montagne'' remontés depuis les Alpes, et enfin, lors des opérations en Bourbonnais, par des éléments de la garnison de Vichy acceptés par le Commissaire de la République<small><sup>(1)</sup></small>. »<br> Henri Laurent est secrétaire du commandant Robert Thollon, qu'il accompagne dans tous ses déplacements. Les 4 et 5 septembre 1944, l'État-Major de la Division Légère d'Auvergne se réunit à Clermont-Ferrand. Ils se mettent sous les ordres du colonel Jean Schneider, venu de Toulouse avec des résistants du Sud et du Massif Central. Au total près de 8000 hommes, dont la plus grande partie va rejoindre la Première Armée Française de De Lattre, entre Mâcon et Chalon.<br> Les 700 hommes de la D.L.A., commandés par le colonel Fayard-''Mortier'' sont répartis en sept colonnes rapides ; ils disposent de voitures individuelles et de camions réquisitionnés ou récupérés sur les Allemands. Deux colonnes rapides doivent longer la [[La Loire|<u>Loire</u>]], à l'Ouest le Groupement Colliou, à l'Est la C.R.6 du commandant Thollon-''Renaud''. Les premiers points de ralliement sont Le Donjon, Digoin et Gannay. Ils doivent faire miner les ponts de Bourbon-Lancy (Le Fourneau), Gannay et Decize, et les faire exploser si nécessaire, pour bloquer la progression d'une forte colonne allemande en repli depuis le Sud-Ouest.<br> « Nous partîmes, Thollon et moi, dans la Traction 15 au début de l'après-midi [du 9 septembre] pour Gannay et [[Decize|<u>Decize</u>]]. Chemin faisant, Thollon me dit que l'initiative de mise à feu restait entre nos mains, par ordre du colonel ''Mortier''. [...] C'était, me dit-il, la préoccupation du colonel ''Mortier'', autant que la nôtre, de limiter la destruction à l'indispensable.<br> À Gannay, courte inspection des lieux. Les gendarmes de Perrin sont à l'œuvre ; ils assurent eux-mêmes le minage avec le concours de quelques artificiers. Les dispositions qu'a prises Perrin à droite et à gauche du pont satisfont Thollon : cet officier, visiblement, connaît son métier.<br> À [[Decize|<u>Decize</u>]], longue conférence avec Goaille. Il a installé son P.C. dans un café au centre de la vieille ville, à environ 300 mètres de l'entrée d'un pont. De là, nous dit-il, un lacis de rues en éventail lui permettra de joindre les siens, qui sont échelonnés le long de la [[La Loire|<u>Loire</u>]]. Son alter ego Doléac, la tête enrubannée mais remis de son accident du 7<small><sup>(2)</sup></small>, assurera les liaisons permanentes. Les sections Sabatié et Angot sont déployées au coude à coude au centre du dispositif, face au pont. La section Honnilh l'est aussi, mais un peu décalée, en retrait ; un groupe a pris position avec une mitrailleuse récupérée, quelques F.M. et une provision de fusées éclairantes, sur une terrasse exiguë, avancée d'un couvent de Religieuses<small><sup>(3)</sup></small> (aussi inquiètes que courageuses...) ; un autre à environ 100 mètres du pont et servant notre unique pièce d'artillerie, un petit canon de tranchée, souvenir de 14-18, récupéré, avec quelques munitions, dans un château voisin.<br> Flanquant Sabatié en aval, Caillaud et les siens et, plus loin face à un gué signalé par les riverains et non loin d'une écluse, la compagnie polonaise du lieutenant Kierwack. En amont, au Sud, la section Malignas... Chacun est occupé, avec pleine initiative, à organiser son secteur et à la fortifier en utilisant de vieux bâtiments en ruines et des restes de remparts (car d'importantes destructions ont eu lieu en 1940, celles du pont, dont la reconstruction n'est pas achevée ; il manque des rambardes, et l'explosion de l'époque a soufflé des bâtiments voisins, qui sont restés en l'état).<br> Nous nous rendons avec Goaille sur le pont. Il est environ 17 heures. Le premier que je vois est Malignas, fort occupé avec Saurel (spécialisé dans les explosifs) et avec le détachement du Génie qui est arrivé en début d'après-midi avec des caisses d'explosifs récupérés, me dit-on, sur des stocks allemands en Forêt de Tronçais. [...]<br> Le dispositif de mise à feu de l'explosion du pont est prévu, nous dit Sabatié, à proximité de sa tour et sera commandé par un assez long cordon qui franchira le chemin de halage, tendu sur deux poteaux, et se terminera par un cordon Bickford à effet différé de 30 secondes. [...]<br> Un moment pénible nous était réservé : l'intervention suppliante du propriétaire des maisons situées à proximité du pont, soufflées en 1940 et difficilement remises en état depuis. Se sont joints à lui des Decizois auxquels la destruction du pont rendrait la vie aussi difficile qu'elle l'avait été pendant de longs mois après juin 1940. Tous nous prient instamment d'éviter une nouvelle explosion du pont qui ruinerait ces longs efforts. Thollon  leur dit simplement : « Nous ne tenons pas plus que vous à voir détruire ce pont qui fait partie de votre patrimoine. Nous ne le ferons qu'en cas de nécessité absolue. Songez, toutefois, à ce que pourra devenir votre ville si l'ennemi force le passage ! »<br> Henri Laurent et le commandant Thollon repartent à Cronat vers 20 heures. À 4 h 30, le 10 septembre, ils sont alertés : les Allemands sont aux abords de [[Decize|<u>Decize</u>]], l'attaque redoutée se prépare. Thollon, Laurent et de Nervo s'engouffrent dans la Traction 15 ; ils sont à [[Decize|<u>Decize</u>]] au P.C. de Goaille à 6 h 40.<br> « J'écoute ce que disent plusieurs des nôtres : Malignas, Sabatié, Angot, Honnilh et aussi Kierzack. Tous ont vécu dans le noir - sauf lors d'un véritable feu d'artifices de fusées éclairante, et à la lueur des tirs -  un combat qui a été vif, et qu'ils ont mené en concentrant leurs feux croisés sur un objectif commun : le débouché de la route R. N. 478 de [[Saint Pierre le Moûtier|<u>Saint-Pierre-le-Moûtier</u>]] qui, traversant, bordée de maisons, le Faubourg d'Allier, aboutit au pont. Chacun l'a vécu dans l'optique de sa position : l'excitation est grande et les propos divergent.<br> L'accord est cependant général sur plusieurs points : c'est entre minuit et une heure du matin que l'alerte fut donnée par des coups de feu en provenance du faubourg d'Allier où une patrouille avancée avait été envoyée. Cette patrouille ne se manifestant pas, à la grande inquiétude des avant-postes, le combat ne commença qu'après cette alerte et un long silence qui suivit ; il dura entre trois et quatre heures, avec des accalmies, pendant lesquelles l'ennemi modifia sa tactique, notamment par la mise en œuvre d'une pièce d'artillerie (vraisemblablement un canon anti-char tracté par un engin mécanique) et des mortiers qui se déployèrent à gauche et à droite. Ils y eut plusieurs coups au but, en particulier sur le bâtiment qui abritait les hommes d'Angot ; les travaux de colmatage réalisés la veille se montrèrent très efficaces, notamment contre les ricochets de minen.<br> Tous, en tous cas, virent des silhouettes se profiler à l'entrée du pont et entendirent des ordres criés. Il y eut une brève tentative allemande de s'engager sur le pont, après une intense préparation de tirs de mortiers et d'armes automatiques. Elle fut enrayée par nos tirs croisés de F.M. et de la mitrailleuse, ainsi que du canon de tranchée qui tira jusqu'à épuisement depuis la terrasse du couvent. On entendit des hurlements de blessés...<br> C'est alors que le pont sauta ! L'ennemi ne se manifesta plus que sporadiquement après l'explosion, qui intervint donc presque en fin d'engagement. Une accalmie permit alors à quelques uns des nôtres, dont Caillaud, de risquer un bref combat à l'entrée Est du pont. De leur côté, les Polonais ouvrirent le feu contre des patrouilles déployées face au gué dont ils avaient la garde – qui n'insistèrent pas. Tout comme les patrouilles qui avaient été prises à partie en aval de l'île par Dupuy et les siens<small><sup>(4)</sup></small>.<br> [...] Je juge utile, pour éclairer la genèse de l'ensemble, de produire le récit que m'a donné ultérieurement, en présence de Goaille, le responsable d'un commando de six hommes, tous volontaires, comme leur chef Moga – un Toulousain d'origine espagnole, ex-combattant de la Guerre Civile, qui nous avait ralliés depuis le Cantal et dont l'audace en plusieurs circonstances l'avait fait apprécier de tous. Ses cinq compagnons étaient De Bretagne, Saurel, Gambotti (tous trois de ''Jeunesse et Montagne''), Chassagne, Detouche. Ils reçurent, à la tombée de la nuit, la mission d'éclairer, au-delà du pont, la route de [[Saint Pierre le Moûtier|<u>Saint-Pierre-le-Moûtier</u>]], en allant donc au-devant de l'adversaire, et de se replier à son contact en nous donnant une alerte discrète. Un mot de passe était convenu. Moga partit vers 23 heures avec ses compagnons. Detouche fut placé à l'entrée Ouest du pont avec un F.M., à l'abri très relatif d'une borne. Saurel, Gambotti et De Bretagne furent postés dans une maison abandonnée à quelque distance. Quant à Moga et Chassagne, ils avancèrent sans bruit (déchaussés) sur 400 mètres environ, jusqu'au moment où ils perçurent des chuchotements non équivoques : ils étaient doublés par d'autres éclaireurs, ennemis ceux-là, cachés dans des fossés, qui avaient vraisemblablement reçu la même consigne de silence... Avec le plus grand calme, nos amis rebroussèrent chemin jusqu'à la maison où les attendaient leurs compagnons. Longue attente. Puis, dans le noir, une silhouette finit par s'approcher, chuchotant un mot de passe qui ressemblait à celui de nos amis (nom d'une ville russe). Notre homme hésite : c'est peut-être un Polonais qui prononce ce mot à sa façon ? Mais un éclair de briquet fait briller des épaulettes allemandes ! Et c'est, tout de suite, le premier coup de feu, fatal à la silhouette ainsi démasquée, suivi par une rafale que lâche Detouche, affolé, avant de se mettre à l'abri sous la pile du pont. Il y passera une nuit fort agitée ! Moga et ses autres compagnons n'ont plus qu'à rejoindre, comme ils le peuvent, la rive droite. Ils le firent à la nage [...] Un des hasards les plus surprenants de cet incident est donc la quasi identité des deux mots de passe – et nos éclaireurs ont eu bien de la chance ! »<br>  

Version du 11 mai 2020 à 11:57

  • Le drapeau français déployé place de la mairie à Decize. Un tableau haut en couleurs qui a marqué samedi l'envoi des cérémonies officielles du cinquantenaire de la libération. Une commémoration qui, à Decize, a revêtu un caractère très solennel.
    Une quinzaine de porte-drapeaux des associations locales d'anciens combattants étaient présents, aux côté des élus, du corps des sapeurs-pompiers de Decize et de la Croix-Rouge locale. La Batterie-Fanfare municipale donnait le ton du rassemblement.
    « Decize n'a pas voulu oublier la joie de sa libération », a prononcé Jean-Noël Le Bras, maire de la commune, devant le Monument aux Morts. « Ceux qui se sont battus, ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, a-t-il insisté, doivent laisser, cinquante ans après, un témoignage concret et permanent. »
    Henri Laurent a vécu la libération de Decize. À l'âge de 76 ans, il est venu en camping-car, tout spécialement de Menton, pour assister aux cérémonies commémoratives du cinquantenaire. Cet ancien combattant de la colonne Schneider tenait un journal heure par heure. [...] « Notre mission était de pourchasser les Allemands qui en ce soir du 6 septembre tenaient encore la rive droite de la Loire, de Bourbon-Lancy à Luzy, en passant par Decize, retrace-t-il. Le 8 au soir, Thollon avait pris la décision de détruire le pont de Decize. La mission fut confiée à la compagnie Goaille. »
(Le Journal du Centre, lundi 12 septembre 1994)
  • J'ai rencontré M. Laurent ce jour-là après la cérémonie, et le lendemain chez moi. Il m'a longuement expliqué le rôle de la colonne Schneider, venue de Toulouse et de Clermont-Ferrand pour servir de soutien à la Première Armée Française, chasser les derniers occupants et surtout bloquer le repli du groupe Elster. Je n'avais eu jusqu'alors que très peu de renseignements sur cette période de la Libération, je m'intéressais surtout depuis plusieurs années au XVIIIe siècle et à la Révolution Française. Nous avons eu une longue conversation ; par la suite, M. Laurent m'a fait parvenir plusieurs courriers, une photocopie de ses notes et trois numéros de la revue Jeunesse et Montagne.
    « Le mouvement Jeunesse et Montagne peut être défini comme le pendant Aviation des Chantiers de la Jeunesse. Mouvement paramilitaire créé en 1940 d'une part pour maintenir groupés les cadres de l'Armée de l'Air, d'autre part pour faire effectuer un service national, analogue à celui des Chantiers, aux jeunes attirés par les carrières de l'Aviation.
    La vie en haute montagne, suivant une formule d'équipes de 25 jeunes installés dans des chalets d'altitude (en somme, analogue à celle des sections d'éclaireurs-skieurs), avait été jugée développer les qualités requises pour devenir navigants dans l'Armée de l'Air.
    Les cadres de Jeunesse et Montagne étaient dans leur majorité acquis à la Résistance et relevaient de l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) depuis la rupture en 1942 de l'Armistice.
    Le commandant Thollon, pilote de chasse, as de 1940 (9 victoires), était le chef le l'École des Cadres de Jeunesse et Montagne. École installée à Chamonix, mais chassée par l'occupant en avril 1944 pour être repliée et dissoute en Auvergne, à Theix, près de Clermont-Ferrand.
    Le commandant Thollon et son école rejoignirent le maquis le premier juin 1944, ayant réussi en mai à louvoyer sur place – en attendant l'ordre de mobilisation de l'O.R.A.. Le commandant Thollon prit le pseudonyme de commandant Renaud.
    Aux ordres du colonel Fayard (pseudonyme Mortier), Renaud et les siens participèrent aux combats de la libération en Auvergne, puis à la libération de Lyon et enfin à celle du Bourbonnais, avant de rejoindre en octobre et novembre 44, pour partie la Première Armée Française, pour partie l'Armée de l'Air.
    Ils avaient été rejoints en Auvergne par des éléments de l'Armée Secrète (1/4 des effectifs, qui étaient de 1200 hommes à la Libération), par de nombreux engagés volontaires, par des éléments de Jeunesse et Montagne remontés depuis les Alpes, et enfin, lors des opérations en Bourbonnais, par des éléments de la garnison de Vichy acceptés par le Commissaire de la République(1). »
    Henri Laurent est secrétaire du commandant Robert Thollon, qu'il accompagne dans tous ses déplacements. Les 4 et 5 septembre 1944, l'État-Major de la Division Légère d'Auvergne se réunit à Clermont-Ferrand. Ils se mettent sous les ordres du colonel Jean Schneider, venu de Toulouse avec des résistants du Sud et du Massif Central. Au total près de 8000 hommes, dont la plus grande partie va rejoindre la Première Armée Française de De Lattre, entre Mâcon et Chalon.
    Les 700 hommes de la D.L.A., commandés par le colonel Fayard-Mortier sont répartis en sept colonnes rapides ; ils disposent de voitures individuelles et de camions réquisitionnés ou récupérés sur les Allemands. Deux colonnes rapides doivent longer la Loire, à l'Ouest le Groupement Colliou, à l'Est la C.R.6 du commandant Thollon-Renaud. Les premiers points de ralliement sont Le Donjon, Digoin et Gannay. Ils doivent faire miner les ponts de Bourbon-Lancy (Le Fourneau), Gannay et Decize, et les faire exploser si nécessaire, pour bloquer la progression d'une forte colonne allemande en repli depuis le Sud-Ouest.
    « Nous partîmes, Thollon et moi, dans la Traction 15 au début de l'après-midi [du 9 septembre] pour Gannay et Decize. Chemin faisant, Thollon me dit que l'initiative de mise à feu restait entre nos mains, par ordre du colonel Mortier. [...] C'était, me dit-il, la préoccupation du colonel Mortier, autant que la nôtre, de limiter la destruction à l'indispensable.
    À Gannay, courte inspection des lieux. Les gendarmes de Perrin sont à l'œuvre ; ils assurent eux-mêmes le minage avec le concours de quelques artificiers. Les dispositions qu'a prises Perrin à droite et à gauche du pont satisfont Thollon : cet officier, visiblement, connaît son métier.
    À Decize, longue conférence avec Goaille. Il a installé son P.C. dans un café au centre de la vieille ville, à environ 300 mètres de l'entrée d'un pont. De là, nous dit-il, un lacis de rues en éventail lui permettra de joindre les siens, qui sont échelonnés le long de la Loire. Son alter ego Doléac, la tête enrubannée mais remis de son accident du 7(2), assurera les liaisons permanentes. Les sections Sabatié et Angot sont déployées au coude à coude au centre du dispositif, face au pont. La section Honnilh l'est aussi, mais un peu décalée, en retrait ; un groupe a pris position avec une mitrailleuse récupérée, quelques F.M. et une provision de fusées éclairantes, sur une terrasse exiguë, avancée d'un couvent de Religieuses(3) (aussi inquiètes que courageuses...) ; un autre à environ 100 mètres du pont et servant notre unique pièce d'artillerie, un petit canon de tranchée, souvenir de 14-18, récupéré, avec quelques munitions, dans un château voisin.
    Flanquant Sabatié en aval, Caillaud et les siens et, plus loin face à un gué signalé par les riverains et non loin d'une écluse, la compagnie polonaise du lieutenant Kierwack. En amont, au Sud, la section Malignas... Chacun est occupé, avec pleine initiative, à organiser son secteur et à la fortifier en utilisant de vieux bâtiments en ruines et des restes de remparts (car d'importantes destructions ont eu lieu en 1940, celles du pont, dont la reconstruction n'est pas achevée ; il manque des rambardes, et l'explosion de l'époque a soufflé des bâtiments voisins, qui sont restés en l'état).
    Nous nous rendons avec Goaille sur le pont. Il est environ 17 heures. Le premier que je vois est Malignas, fort occupé avec Saurel (spécialisé dans les explosifs) et avec le détachement du Génie qui est arrivé en début d'après-midi avec des caisses d'explosifs récupérés, me dit-on, sur des stocks allemands en Forêt de Tronçais. [...]
    Le dispositif de mise à feu de l'explosion du pont est prévu, nous dit Sabatié, à proximité de sa tour et sera commandé par un assez long cordon qui franchira le chemin de halage, tendu sur deux poteaux, et se terminera par un cordon Bickford à effet différé de 30 secondes. [...]
    Un moment pénible nous était réservé : l'intervention suppliante du propriétaire des maisons situées à proximité du pont, soufflées en 1940 et difficilement remises en état depuis. Se sont joints à lui des Decizois auxquels la destruction du pont rendrait la vie aussi difficile qu'elle l'avait été pendant de longs mois après juin 1940. Tous nous prient instamment d'éviter une nouvelle explosion du pont qui ruinerait ces longs efforts. Thollon leur dit simplement : « Nous ne tenons pas plus que vous à voir détruire ce pont qui fait partie de votre patrimoine. Nous ne le ferons qu'en cas de nécessité absolue. Songez, toutefois, à ce que pourra devenir votre ville si l'ennemi force le passage ! »
    Henri Laurent et le commandant Thollon repartent à Cronat vers 20 heures. À 4 h 30, le 10 septembre, ils sont alertés : les Allemands sont aux abords de Decize, l'attaque redoutée se prépare. Thollon, Laurent et de Nervo s'engouffrent dans la Traction 15 ; ils sont à Decize au P.C. de Goaille à 6 h 40.
    « J'écoute ce que disent plusieurs des nôtres : Malignas, Sabatié, Angot, Honnilh et aussi Kierzack. Tous ont vécu dans le noir - sauf lors d'un véritable feu d'artifices de fusées éclairante, et à la lueur des tirs - un combat qui a été vif, et qu'ils ont mené en concentrant leurs feux croisés sur un objectif commun : le débouché de la route R. N. 478 de Saint-Pierre-le-Moûtier qui, traversant, bordée de maisons, le Faubourg d'Allier, aboutit au pont. Chacun l'a vécu dans l'optique de sa position : l'excitation est grande et les propos divergent.
    L'accord est cependant général sur plusieurs points : c'est entre minuit et une heure du matin que l'alerte fut donnée par des coups de feu en provenance du faubourg d'Allier où une patrouille avancée avait été envoyée. Cette patrouille ne se manifestant pas, à la grande inquiétude des avant-postes, le combat ne commença qu'après cette alerte et un long silence qui suivit ; il dura entre trois et quatre heures, avec des accalmies, pendant lesquelles l'ennemi modifia sa tactique, notamment par la mise en œuvre d'une pièce d'artillerie (vraisemblablement un canon anti-char tracté par un engin mécanique) et des mortiers qui se déployèrent à gauche et à droite. Ils y eut plusieurs coups au but, en particulier sur le bâtiment qui abritait les hommes d'Angot ; les travaux de colmatage réalisés la veille se montrèrent très efficaces, notamment contre les ricochets de minen.
    Tous, en tous cas, virent des silhouettes se profiler à l'entrée du pont et entendirent des ordres criés. Il y eut une brève tentative allemande de s'engager sur le pont, après une intense préparation de tirs de mortiers et d'armes automatiques. Elle fut enrayée par nos tirs croisés de F.M. et de la mitrailleuse, ainsi que du canon de tranchée qui tira jusqu'à épuisement depuis la terrasse du couvent. On entendit des hurlements de blessés...
    C'est alors que le pont sauta ! L'ennemi ne se manifesta plus que sporadiquement après l'explosion, qui intervint donc presque en fin d'engagement. Une accalmie permit alors à quelques uns des nôtres, dont Caillaud, de risquer un bref combat à l'entrée Est du pont. De leur côté, les Polonais ouvrirent le feu contre des patrouilles déployées face au gué dont ils avaient la garde – qui n'insistèrent pas. Tout comme les patrouilles qui avaient été prises à partie en aval de l'île par Dupuy et les siens(4).
    [...] Je juge utile, pour éclairer la genèse de l'ensemble, de produire le récit que m'a donné ultérieurement, en présence de Goaille, le responsable d'un commando de six hommes, tous volontaires, comme leur chef Moga – un Toulousain d'origine espagnole, ex-combattant de la Guerre Civile, qui nous avait ralliés depuis le Cantal et dont l'audace en plusieurs circonstances l'avait fait apprécier de tous. Ses cinq compagnons étaient De Bretagne, Saurel, Gambotti (tous trois de Jeunesse et Montagne), Chassagne, Detouche. Ils reçurent, à la tombée de la nuit, la mission d'éclairer, au-delà du pont, la route de Saint-Pierre-le-Moûtier, en allant donc au-devant de l'adversaire, et de se replier à son contact en nous donnant une alerte discrète. Un mot de passe était convenu. Moga partit vers 23 heures avec ses compagnons. Detouche fut placé à l'entrée Ouest du pont avec un F.M., à l'abri très relatif d'une borne. Saurel, Gambotti et De Bretagne furent postés dans une maison abandonnée à quelque distance. Quant à Moga et Chassagne, ils avancèrent sans bruit (déchaussés) sur 400 mètres environ, jusqu'au moment où ils perçurent des chuchotements non équivoques : ils étaient doublés par d'autres éclaireurs, ennemis ceux-là, cachés dans des fossés, qui avaient vraisemblablement reçu la même consigne de silence... Avec le plus grand calme, nos amis rebroussèrent chemin jusqu'à la maison où les attendaient leurs compagnons. Longue attente. Puis, dans le noir, une silhouette finit par s'approcher, chuchotant un mot de passe qui ressemblait à celui de nos amis (nom d'une ville russe). Notre homme hésite : c'est peut-être un Polonais qui prononce ce mot à sa façon ? Mais un éclair de briquet fait briller des épaulettes allemandes ! Et c'est, tout de suite, le premier coup de feu, fatal à la silhouette ainsi démasquée, suivi par une rafale que lâche Detouche, affolé, avant de se mettre à l'abri sous la pile du pont. Il y passera une nuit fort agitée ! Moga et ses autres compagnons n'ont plus qu'à rejoindre, comme ils le peuvent, la rive droite. Ils le firent à la nage [...] Un des hasards les plus surprenants de cet incident est donc la quasi identité des deux mots de passe – et nos éclaireurs ont eu bien de la chance ! »
  • Le récit de M. Laurent, dont je n'ai repris qu'un extrait, a été publié en septembre et octobre 1994 dans la revue Jeunesse et Montagne. Je l'ai utilisé, confronté à plusieurs témoignages de résistants et témoins decizois pour retracer la libération de Decize. Les Allemands qui tentaient de traverser la Loire à Decize dans la nuit du 9 au 10 septembre 1944 appartenaient à l'avant-garde de la colonne Elster ; c'était le Kampfgruppe Brugert. Ils ont reflué sur Saint-Germain-Chassenay, Azy-le-Vif et Saint-Pierre. Encerclés par les hommes du Groupement Colliou-Roussel, par les résistants du Cher et une unité S.A.S. anglo-française, ils ont dû se rendre et ils ont été conduits à Nevers. Il me semble intéressant de confronter ce témoignage avec celui d'un soldat allemand(4).

(1) Des fusiliers marins et des gendarmes mobiles.
(2) Le lieutenant Doléac a été blessé dans un accident de la route près de Luzy.
(3) Il s'agit de l'école Sainte-Marie.
(4) Quelques Allemands ont tenté de traverser le barrage de Saint-Léger, mais ils ont été refoulés.
(5) Pour en savoir plus : cf. mes ouvrages Decize et son canton autour de la Seconde Guerre mondiale DG 26 et Un Siècle à Decize, 1944 D Libération.


Texte communiqué par Pierre Volut.