Vigneron Etienne correspondances de janvier 1915 à mars 1915

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Guerre 1914-1918 57.jpg
7e Génie

C.P. : 7e Génie, Régiment dit « de Sapeurs-Pontonniers », formé en 1894, à Madagascar

  • Avignon, 12 janvier 1915,
Chers parents,
Je vous envoie cette carte sapeurique pour vous raconter mon emploi d’à présent. Je suis passé cuisinier, je suis avec des mariniers, nous sommes 4 : Pieuchon, Thévenot, moi et un type du Midi. Ce n’est pas le métier rêvé pour celui qui est répugnant, ce n’est qu’une graisse. Si vous me voyiez, nous ne sommes pas touchables avec des pincettes ! Il y a du travail, mais ce qui est bon c’est que l’on bouffe, on fait même le délicat. Comme café, on boit ce que l’on veut; et ce qui est épatant, c’est de nous voir détailler les quartiers de bœuf, des bouchers quoi !
Marc est parti ce soir, il va en Belgique, ça ne sent pas bien bon pour mon numéro, mais, comme il y a assez de temps que l’on s’attend à être désigné, on ne s’en fait pas des tas. A la première nomination de caporal, ce sera moi, mais quand, je n’en ai pas le moindre soupçon !
Il est 11 heures passé[es] du soir, j’ai un chandelier qui est plutôt bizarre, on ne voit ça qu’au régiment.
Plus rien à vous dire et aussi plus de place. Etienne.
À propos il y a le célèbre Pion de Cercy. Tous les soirs je vais dans sa chambre, j’étais content de la voir.

C.P. : Villers-Cotterets, Aisne

  • 23 Janvier.
Je me porte bien mais la nuit n’est pas chaude. Ne vous en faites point [pour] moi, le temps ne me dure pas. Etienne.
Madame et Monsieur Vigneron bateau La Vigne
À l’écluse de Cercy la Tour.

C.P. : Correspondance des Armées de la République

3e - Expéditeur : Vigneron Etienne, Secteur 87, Compagnie 23/4
Adresse : Monsieur Vigneron, bateau La Vigne,
écluse de Saint-Léger des Vignes, Nièvre.
  • 27 janvier 1915,
Un mot pour vous dire que je vais bien quoique les fonds soient un peu en baisse. Je souhaite donc que vous ne soyez pas plus en mauvais état que moi.
Pont de Compiègne détruit

La compagnie d'Étienne Vigneron est maintenant à Tracy, près de Compiègne. Les pontonniers vont travailler sur l'Oise, l'Aisne et les canaux.

  • 4 février 1915
Chers parents,
J’ai reçu vos deux dernières lettres, ceci m’a bien contenté. Je me porte bien et souhaite que vous soyez de même. Pour le moment, je n’ai pas besoin de grande chose, à moins qu’une paire de gants, car les miens m’ont été chipés à Avignon. Ici, le temps est beau, il ne fait pas froid, le temps est clair aussi ce matin, j’ai vu une chasse aux Taubes(2) à coups de 45 qui se posait un peu là, ce n’est pas à Decize que l’on pourrait voir ça.
À part ça, rien de bien nouveau.
Recevez, chers parents, mes plus sincères et mes plus tendres affections. Étienne.
Au fait, j’ai reçu des nouvelles de Bourg-le-Comte et aussi d’Alexandre, ça m’a bien contenté. Quand serons-nous tous ensemble ?
  • La Motte, 16 février 1915
Chers parents,
Nous avons quitté notre travail et nous sommes où nous étions pour la 1ère fois. Depuis 3 jours, nos repos n’ont guère été réels. Mais si nous restons là nous serons bien. On trouve ici ce qui est nécessaire mais on n’aura plus le quart de vin, on en trouve à 13 sous. Nous logeons dans notre vieux moulin et à 10 kilo[mètres] des tranchées ; nous avons assez de paille, mais pas de trop.
Pour revenir où nous sommes nous avons fait aujourd’hui dix kilo[mètres] avec sac rempli 25 kilos au moins ; c’est assez dur, aussi il y en a plusieurs qui calent.
J’ai vu du 13e territorial de Nevers, j’ai regardé mais je n’ai connu personne. Si je peux, comme il faut l’espérer, revenir, je serai content quand même de voir ce que c’est qu’un pareil travail. Comme nouvelles pas grande chose, sauf que j’ai une barbe épatante, j’ai envie de la garder, elle a au moins 1 centimètre 1/2. Les maisons de Tracy sont toutes dans l’état de celle qui est sur la carte, aucune ne possède de toiture, ça au moins c’est vécu. Je finis et vous embrasse de tout cœur. Étienne.
  • Saint-Crépin, 19 février 1915
Mes chers parents,
Je vous écris d’un petit patelin où nous sommes venus pour 8 jours, nous nettoyons et raccommodons un peu, c’est à 6 kilo[mètres] d’où j’étais ; l’on trouve à peu près ce que l’on veut et l’on trouve ça épatant de voir quelques civils et de ne pas entendre de coups de fusil. Je vous ai sans doute fait de la peine de vous dire que nous travaillons sous le nez de l’ennemi mais, vous le savez bien, je ne peux pas dire de mensonges. Ce n’est pas la peine de dire comme presque tous que l’on est à plusieurs kilo[mètres] quand ce n’est pas vrai. J’ai reçu mon mandat dans votre lettre. Ici le temps est meilleur que dans la Nièvre car il ne gèle pas. Hier matin il y avait cinq centi[mètres] de neige, mais quand le soleil est monté elle a aussitôt fondu. Aujourd’hui la pluie a tombé toute la matinée à plein temps. Je me suis réveillé que très tard. Nous ne savions pas l’heure, nous avons dormi en pensant qu’il était environ 11 heures et après la soupe du soir était presque faite, quand le soleil s’est [couché ?] on s’aperçut qu’il n’était que 4 heures, c’est dire que l’on n’a pas d’heure bien fixe. Ce matin j’ai ramassé un œil de bœuf, nous allons l’apporter à la carrière ainsi qu’un chandelier. On monte son petit ménage, quoi ! J’aurais bien beaucoup à raconter mais je suis au bout du papier, il n’y a guère de charme, aussi je termine en vous embrassant de tout cœur. Étienne.
  • 24 février 1915
Chers parents,
J’ai reçu ce matin mon colis, il contenait tout ce qui était annoncé. Ce qui me contente c’est surtout le saucisson, il a un air de mange-moi ! Je suis toujours à la même place. Je vous envoie cette carte en écrivant sous un sapin au soleil. Je viens avec un copain de tendre quelques collets. Je ne sais pas si je prendrai quelque chose, mais en tous cas, je vais toujours manger un morceau de garenne ce soir. Rien de neuf. Je finis en vous embrassant. Étienne.
  • Lettre : Le 8 mars 1915
Ma chère tante,
Il y a longtemps déjà que je ne t ‘ai pas donné signe de vie. Eh bien, il ne faut pas te tourmenter, je suis en bonne santé ; j’habite une maison construite par nous, toute de troncs d’arbres et de terre. Si tu voyais les jolis bois, comme nous les arrangeons, c’est terrible de voir ça, on hache, on scie, on coupe ce qu’il nous faut, comme l’on veut.
Ce qui n’est pas bien bon, c’est que en attendant que notre logement qui comprend 13 lits soit fini, il a fallu coucher 3 jours sous la tente par un temps de pluie et de vent.
Mon oncle Henri m’a écrit, il est bien content de savoir de mes nouvelles. Je pense que ma lettre vous trouvera tous en bonne santé.
Ton neveu qui vous embrasse bien tous. Etienne.
Secteur 26 :
Le secteur n’est plus le même, mais je ne suis pas loin d’où j’étais.
A propos : j’ai reçu une lettre de ma cousine Marie-Louise.
  • C.P. : 17 Mars 1915
Chers parents
J’ai reçu votre dernière lettre le 15, elle a donc mis 6 jours pour venir. Je suis content que vous avez trouvé le patelin, mais j’ai changé ; nous sommes maintenant à Berneuil même. Comme je vois il ne fait guère bon à monter la Loire ; ici il y a quelques porteurs de la Compagne Générale qui amènent des cailloux et quelques péniches qui font les betteraves, car c’est le principal produit du pays. Quoiqu’il y ait de l’eau, beaucoup, l’Aisne est une rivière qui ressemble plutôt à un canal large de 40 mètres au moins, mais qui ne coule pas beaucoup. Si vous avez vu le Petit Parisien du 15, vous avez dû voir : Tracy-le-Val sous les obus, eh bien j’ai vu ça moi, mais pas rien que sur le journal, je l’ai vu de mes yeux et c’est en effet un pays qui n’a guère que des pans de murs debout.
Je ne crois pas que ce fourbi là dure bien longtemps ; à présent que voilà les beaux jours et surtout les belles nuits, et aussi je me dis que l’Italie va bientôt se mettre au travail. La tranchée d’où tirent les soldats sur cette gravure est une tranchée comme on les faisait en premier, mais celles d’à présent sont de vraies forteresses.
Je termine en vous embrassant. Etienne.

(2) Die Taube = le pigeon en allemand. En 1912, le constructeur autrichien Etrich a construit les premiers monoplans Taube, appelés ainsi à cause de leur « queue de pigeon ». Cet avion a été amélioré dès le déclenchement de la guerre : biplace, moteur Mercedes atteignant 75 cv. Il a participé aux premiers bombardements des tranchées et des villes françaises.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 10 octobre 2014 à 15:05 (CEST)