Vigneron Etienne correspondances d'octobre 1914 à décembre 1914

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Le pontonnier Étienne Vigneron écrit à ses parents depuis Avignon.

Caserne du 7e Génie à Avignon
  • Étienne Vigneron est le fils de Barthélemy Vigneron, marinier, patron de la péniche La Vigne. Entre deux trajets sur les canaux, la famille Vigneron est domiciliée à Saint-Léger-des-Vignes.
  • Mobilisé en septembre 1914 au 7e Régiment du Génie, Étienne Vigneron passe quatre mois de formation à la caserne d’Hautpoul, en Avignon : les sapeurs-pontonniers du génie apprennent à creuser des tranchées, à construire des abris et des ponts de bois ; beaucoup d'entre eux sont mariniers, ils s'entraînent à naviguer sur toutes sortes d'embarcations.
Lettre n° 1 : Avignon, 8 octobre 1914,
Mes chers parents,
Je reçois votre lettre aujourd’hui, elles me font toutes un très grand plaisir. Pour moi, le temps ne me dure pas du tout, je ne peux même pas croire qu’il y a un mois que je suis ici !… Je vais suivre le peloton et je crois qu’avec le travail que nous faisons déjà, je serai bien occupé. Il n’y a pas à redire, nous bardons, à côté de ce qui se fait d’habitude, nous faisons l’exercice comme le 18e et notre travail de mines et de ponts par-dessus. Aujourd’hui, nous avons amorcé notre première explosion par forage à 5 mètres sous terre, ça a pété un bon coup ! Demain, nous allons être dehors toute la journée, on va aller au champ de tir puis nous finirons ensuite par l'école de lapins.
Tu me dis, chère maman, que tu gardes les feuilles d’oliviers ; je ne pensais pas de tant en voir quand j’étais sur La Vigne. Les oliviers, il y en a partout, les amandiers sont abondants aussi, toute une végétation que je n’ai jamais vue, le thym pousse tout seul sur les hauteurs, le chêne vert, il y a même pas mal de figuiers, j’ai mangé déjà des figues que j’ai ramassées.
Tu dis que tu me fais des chaussettes, les gants me seront peut-être utiles, les chaussettes je n’en porte pas, des chemises de flanelle il ne faut pas m’en envoyer, ou 2 tricots de coton, je ne sais pas si nous allons rester longtemps mais une grande partie des copains font des demandes pour partir.
Enfin, si je reste ici, je n’aurai pas froid à part les jours de mistral (ce cochon de vent qui est glacial), il fait un temps très chaud qui ne ressemble en rien au ciel de Decize, tous les jours le ciel est bleu, mais on bouffe quelque chose comme poussière.
Quelque chose qui m’intéresserait serait de voir Léonard en soldat, il doit être épatant.
Je vous expédie ma photographie, ça m’a coûté 6 francs les 6 petites plus la grande comme prime, je me suis bien un peu dépêché, mais avec ces temps qui courent je crois avoir eu une bonne idée.
Vous êtes en bonne santé, c’est ce qu’il vous faut aussi, quant à moi cette semaine j’ai senti pendant 2 jours comme tous les autres proches quelque chose qui n’était pas bien bon ; nous avons été vaccinés contre la typhoïde et nous avons encore 3 piqûres analogues à celle-là. Aujourd’hui ça va tout à fait bien.
Je n’ai pas grandes nouvelles à vous raconter sinon qu’il est 8 heures du soir et que j’écris sur ma boîte à la lueur d’une bougie, parce qu’on nous a volé nos lampes électriques.
Je termine en vous embrassant bien. Etienne Vigneron.
Lettre n° 2 : Avignon, 13 octobre 1914,
Mes chers parents,
Je reçois votre lettre à l’instant, je pense que vous avez vous aussi reçu la mienne, la dernière que je vous ai envoyée a été à Bourg-le-Comte, je vous ai envoyé aussi une photographie.
Je ne suis aucunement malade, sauf depuis 4 jours j’ai un mal au genou, mais cet après-midi je ne m’en sens plus, ça ne m’a même pas empêché de marcher.
Comme linge, je le répète comme sur ma dernière lettre, je n’ai pas besoin de flanelle-coton, de ceinture de flanelle, ni d’autre chandail, ni de cache-nez, mais vous pouvez m’envoyer si vous voulez 2 paires de chaussettes et une paire de gants. Je n’ai pas besoin non plus de ceinture de flanelle, j’ai mon turban qui suffirait.
A présent, tant qu’à faire les frais d’un voyage pour Avignon, ce serait rudement coûteux mais j’aimerais bien vous voir, mais ce n’est guère la peine de donner une pleine main d’argent au P.L.M. d’autant plus que les colis arrivent assez bien. De l’argent, j’en ai encore, j’ai exactement 31,40 francs.
J’ai touché hier 9,35 F de P.L.M. ; avec 17,50 F de souliers, 2,10 F d’indemnité de voyage, ça me fait une petite somme de passée, presque 1 F par jour et pourtant j’y fais attention, c’est surtout les 1ers jours que j’ai dépensé ; une petite chose d’un côté, une de l’autre.
Depuis que je suis ici, je n’ai pas dépensé plus de 40 sous en sortant en ville avec un seul copain ; enfin pour le moment je n’ai besoin de rien.
J’ai vu Marius Ortu, il pensait être versé dans ma compagnie mais il n’a pas pu ; tant qu’à nous, on s’attend bien à déguerpir mais on ne peut rien savoir de bien fixe. Je suis candidat caporal, j’ai encore déménagé ce soir et pour la 6e fois ; il faut 25 élèves et l’on est encore une cinquantaine ; je pense arriver, ce sera dur. Ce soir, pour le 1er, nous avons théorie de 7 h ½ à 9 h et tous les soirs ce sera peut-être comme cela. Le plus ennuyant pour nous est la théorie de l’infanterie, celle de sap[eur] me va bien et comme commandement, j’ai eu hier 8 sur 10. On nous fait l’école d’intonation, c’est tordant, on gueule comme des veaux !…
A propos, j’ai un [voisin] de lit qui est épatant, c’est un nègre, et en plus c’est tout ce qu’il y a de bon garçon et en même temps d’instr[uit] c’est pour dire qu’on en voit de toutes les couleurs au régiment.
Plus rien à vous dire d’intéressant.
Votre fils qui vous affectionne. E.V.
Lettre du 3 novembre :
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Ancienne prière.
Seigneur Jésus, je vous implore de faire à l’humanité toute entière de vous de nous [sic] préserver de tout mal et de nous amener à vous. Cette prière m’a été envoyée et doit être envoyée dans toute l’étendue du globe.
Il a été écrit du temps de Notre Seigneur Jésus-Christ que tous ceux qui la négligeraient éprouveraient du malheur. Copiez-la et envoyez-la à 9 personnes différentes dans l’espace de 3 jours. Le 9e jour vous éprouverez une grande joie. Ne signez pas, indiquez seulement la date de réception. Elle est du 3 novembre.
Avignon, 4 novembre 1914.
Mes chers parents,
J’ai reçu votre lettre hier matin, il y avait longtemps que je l’attendais.
Hier soir, j’ai reçu votre dépêche, j’ai été surpris, je suis à me demander ce qu’il peut bien y avoir pour que vous m’ayez envoyé ça.
Pour moi, ça ne va pas trop mal, à part un rhume qui compte.
S’il pleut à Decize, il pleut aussi là, mais ce sont des gouttes comme on en voit peu. Le Rhône est déjà dehors de ses rives ; il est fort naturel que la Loire en fasse autant ; je serais bien curieux de voir le passage de Decize, comment il marche tout à l’heure, aussi à la prochaine lettre vous me raconterez comme vous montez(1). Pour ce qui est de faire le voyage d’Avignon je vous engage à ne pas donner de sous à la compagnie du chemin de fer. A présent je ne sais pas si nous allons rester longtemps là, mais nous avons déjà les souliers de guerre, la capote et la petite veste, l’avenir nous apprendra le reste.
Je ne vois pas grande chose de neuf à vous dire, aussi je finis en vous embrassant de tout cœur. Vigneron Etienne.
20 Novembre [1914]
Chers parents,
J’ai reçu votre lettre, j’ai reçu aussi mon colis, j’ai trouvé dedans un passe-montagne, une paire de mitaines, mon couteau, mais les pastilles et le chocolat ont dû rester à Decize parce qu’elles n’étaient pas dans le colis. J’avais acheté un couteau, ça m’en fait deux. Mon rhume est complètement disparu ; à présent je mange presque autant que d’habitude, ça ne me fâche pas. Nous avons manœuvré ces 5 derniers jours devant un général inspecteur des armées, nous avons manœuvré devant lui sur le Rhône, au Polygone nous avons creusé une tranchée étant couchés complètement à terre, aussi on a passé un mauvais moment. Avant-hier nous avons simulé la défense d’une position comme infanterie. Moi je faisais partie d’un petit poste à côté d’un petit bois et de 11 heures du matin jusqu’à 5 heures 20, le sac de 15 kilos environ ne m’a pas quitté. J’étais sentinelle intermédiaire dans les bois, je marchais entre les sentinelles fixes.
Le tout s’est passé sans eau, mistral terrible et à 1 h ½ quand on a campé pour faire la cuisine, je croyais la sauter dans les grandes largeurs et pourtant j’ai bien bouffé.
Avignon, 24 décembre 1914.
Mes chers parents,
Voici déjà Noël, mais je vais le passer à Avignon, je n’ai pas pu avoir de permission ; il n’y a que ceux qui n’en ont jamais eu[es] qui en ont, et encore pas tous.
J’essaierai encore pour le 1er de l’an, ça peut des fois mieux réussir.
Je ne me rappelle pas si je vous l’ai dit : Alexandre est à Bourg dans l’Ain, au 29e biffin. Il ne m’a pas encore écrit depuis qu’il y est, aussi je pense bien recevoir un mot de lui demain, et quand j’en reçois, ça me fait bien plaisir, car ce n’est pas un camarade ordinaire !
Je ne souhaite pas qu’il barde comme nos bleus parce qu’ils ne sont pas amusés ; ils sont environ 750.
J’ai reçu une carte de la Marie Laudet, il y a longtemps que je n’avais rien envoyé ni reçu de Decize.
Je serais mieux de savoir le temps qu’il fait là-bas pour le comparer à celui d’ici. Depuis ce matin le mistral souffle assez fort, il tombe quelques papillons de neige par ci par là, et je ne crois pas que s’il s’arrête, il en tombera une couche…
Hier, c’était gelé assez fort, nous avons été creuser une tranchée à 10 kilomètres, dans une brousse de chênes verts, et dans un terrain qui était aussi caillouteux qu’une grève du Rhône, on a mangé sur l’herbe, on a rebouché notre travail et l’on est revenu en chantant, comme toujours.
Aujourd’hui, nous n’avons pas fait grande chose, nous sommes plutôt gelés, et notre plus grand travail a été d’apporter chacun un peu de bois que l’on a pu dénicher au polygone pour nous chauffer dans la chambre.
Ce soir, on va réveillonner dans la chambre à côté d’un bon feu et à l’abri du vent que l’on entend souffler dehors : il a été convenu de verser chacun 1 F, et moi je fais comme les autres ; ça ne vaudra certainement pas 3 ou 4 jours de perm… mais, ma foi, il ne faut pas trop en réclamer, j’ai déjà de la veine d’être toujours ici.
Je ne vois pas grande chose de neuf à vous dire ; ou du moins je voudrais savoir si vous avez fait votre voyage dans de bonnes conditions, s’il a fait un temps comme ici vous avez [dû] voir de la glace.
A propos ! J’y pense ; ce matin, on a rendu nos fusils, ça ne nous fâche pas car on ne fait pas deux pas sans l’avoir sur l’épaule, c’est la classe 15 qui va les prendre.
Pour moi, je suis en bonne santé, ma plus grande maladie, c’est que plus je vais, plus j’aime dormir ; je souhaite que vous soyez comme moi et que vous ne vous ennuyiez pas.
Votre fils qui pense à vous. Etienne.
Lettre sans date, fin décembre 1914.
Mes chers parents,
J’ai reçu mon paquet.
J’ai reçu votre lettre aujourd’hui, inutile de vous dire que ça me fait toujours plaisir.
J’ai pris la garde hier, pour la 1ère fois, de 10 heures du matin jusqu’à ce matin 10 heures. J’étais avec Arbelot, Filet, Taillemite et deux autres copains. Nous gardions le parc des équipages du Génie, qui retrouve à environ 1500 mètres du quartier. Nous étions de faction tou[te]s les quatre heures et deux à la fois, mais à 250 mètres l’un de l’autre. J’ai veillé de 3 à 5, de 9 à 11, de 3 à 5 et de 9 à 10 heures, j’ai tout juste arrêté le caporal du poste qui venait me rendre visite. La nuit n’a pas été bien chaude, ce matin c’était un peu gelé, mais la journée a été très chaude.
Le peloton est fini ; l’examen a duré trois jours. Il y a eu 71 classés sur 130 candidats, j’ai été classé mais dans un rang qui ne mérite pas beaucoup d’éloges : 69. Ça ne fait rien, avec des phénomènes comme ça, je suis quand même content d’être arrivé. Quant à être nommé ?… On a donné à cette occasion des permissions, mais, ma foi, moi je n’en ai pas demandé, si je voulais en avoir une, je l’aurais peut-être, mais il n’y a pas si longtemps que je suis revenu. À propos de peloton, nous l’avons enterré avant-hier soir, nous avons donné chacun 10 sous pour l’arroser, deux tables formaient une scène avec rangée de bougies, beaucoup de chanteurs étaient inscrits, naturellement moi j’en étais et quand je suis descendu presque tous m’ont serré la main. Le tout s’est bien passé et s’est fini dans un défilé devant le cercueil du peloton défunt. V.E.
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C.P. : Bonne Année. Amitié Sincère.
Chers papa et maman,
Je viens vous apporter à l’occasion du jour de l’an les meilleurs souhaits de bonne année et de bonne santé ainsi que la plus longue conservation ; pour moi, je vais bien, mais, à chaque instant, on s’attend à partir ; de tout le peloton, on n’est plus que 2 sur 83, je ne peux pas avoir de permission.
Etienne.
Madame et Monsieur Vigneron,
Bateau « La Vigne »,
Écluse de Digoin, Saône et Loire.

(1) Pour un marinier, le passage de Decize signifie la traversée du bief de Loire entre les deux canaux.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 10 octobre 2014 à 15:05 (CEST)