Nouvelles des prisonniers

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Le camp d'Ohrdruf dans lequel sont internés des soldats du canton de Decize

La Tribune Républicaine vient de diffuser une liste de 21 soldats et sous-officiers du 213e R.I. détenu au camp du Heuberg (Grand-Duché de Bade). Parmi eux, il y a les poilus Marienne, Poupon, Barichard, Devoucoux, Combémorel et Ramage, issus de notre canton.
Le camp du Heuberg est situé à 800 mètres d'altitude, dans le sud de la Forêt-Noire, à environ 40 kilomètres du lac de Constance.
Les prisonniers sont humainement traités ; ils effectuent des travaux de terrassement pour lesquels ils sont payés 25 pfennigs par jour (0,30 F) ; avec ce modeste salaire, ils peuvent acheter à la cantine du pain noir (0,50 F la livre), du fromage et des confitures, car la nourriture ordinaire est mauvaise et insuffisante ; mais on leur a saisi l'argent qu'ils portaient sur eux lors de leur capture.
Le règlement du camp est très strict :

1° Il est expressément interdit aux prisonniers de s'approcher à moins de trois pas des fils de fer de l'enceinte. La sentinelle appelle ceux qui s'approchent et, s'ils ne s'arrêtent pas, elle doit faire emploi de son arme.
2° Il est sévèrement défendu aux prisonniers de sortir sans permis et sans escorte au-dehors du camp.
3° Il est interdit de fumer à l'intérieur des bâtiments, ou d'allumer des chandelles ou du pétrole.
4° À l'intérieur des bâtiments ou baraques du camp de prisonniers, la plus grande propreté doit régner. Après 8 h 30 du soir, la lumière est éteinte. A partir de ce moment, il est interdit de chanter ou de causer à haute voix.
5° L'horaire sera ordonné chaque matin par un ordre du jour. Jusqu'à nouvel ordre, le réveil est à 6 h du matin.
6° Les prisonniers porteront leurs plaintes à leurs caporaux français, qui sont responsables de leur transmission.
7° Les prisonniers seront avertis que des fausses déclarations vis-à-vis de leurs supérieurs, soit sur demande ou sans demande, seront punies très sévèrement.
8° Il est sévèrement interdit aux prisonniers de s'entretenir avec les allemands ou étrangers, notamment des militaires ou civils [sic].

La Croix-Rouge est chargée des communications entre les prisonniers de guerre et leurs familles, via son bureau de Genève. En France, l'Œuvre des Prisonniers de guerre regroupe les colis, intervient auprès de la presse locale et des hommes politiques pour tenter de faire libérer des prisonniers malades ou soutiens de famille.
L'un des prisonniers du 213e R.I., Raoul Pointu, va réussir à s'évader le 27 septembre 1917 et à rentrer à Decize, où il va ensuite bénéficier d'un congé de convalescence.

Prisonniers de guerre, chez nous

Prisonniers de guerre Allemands
  • « L'un d'eux, assis dans le wagon qui le conduisait vers les Bouches-du-Rhône, regardait avec curiosité les plaines de la Camargue. Puis, se tournant vers le sous-officier chef d'escorte, il constata, en souriant dans sa barbe rousse :
    - Nous qui voulions atteindre Paris, voilà que nous allons jusqu'à Marseille... Ach ! Wie komisch !
    Et ravi au fond de ne plus devoir risquer sa peau pour son souverain, il plaisantait. Car deux choses caractérisent la mentalité des prisonniers boches : la joie de savoir qu'ils pourront manger à leur faim, et la satisfaction d'avoir définitivement échappé au pilonnage de notre artillerie. Ceux qui viennent de Verdun ou de la Somme l'avouent carrément lorsqu'ils parlent à cœur ouvert et lorsqu'ils savent que leurs propos ne seront pas répétés... »
(Maurice Dekobra, Le Pays de France, n° 133, 3 mai 1917, p. 4)
  • L'article continue sur le même ton : la France que les P.G. allemands découvrent est un pays de Cocagne, les simples soldats travaillent avec acharnement aux tâches qui leur sont imposées ; les officiers reprennent leurs études, se perfectionnent dans notre langue et lisent nos philosophes...
    Comme toujours, la propagande est assez loin de la réalité. Pierre Bonnot a participé à un convoi de prisonniers allemands entre Dijon et Lyon :
...« Hier nous avons conduit un train de prisonniers boches jusqu'à Lyon, ils étaient environ 300, et nous étions une soixantaine pour les garder. Je me suis trouvé avec 4 autres pour les mener aux cabinets pendant les arrêts aux gares. Ils avaient de bonnes figures et tout rougeauds ; il y en avait beaucoup qui causaient français, surtout les chefs... Je songe encore aux bonnes vieilles femmes qui montraient leurs poings ou leurs parapluies aux Boches, les gamins criaient après. »
  • Les prisonniers de guerre allemands ont été répartis entre des chantiers, des usines et des fermes assez loin du front – parfois en Algérie ou au Maroc. Pour la plupart, leur sort n'a été ni un enfer, ni un pays de Cocagne.
    Trois sont morts dans notre canton :
- Otto Stern a été enterré à Decize dans le carré militaire ; sa tombe porte le n°1 sur le plan, elle n'a aucun signe distinctif, ni croix, ni stèle.
- Peter Berstl, né le 29 juin 1885 à Traunstein (Allemagne), de nationalité bavaroise, soldat au 1er R. Bavarois, 4e Cie, fait prisonnier à Hardaincourt le 15 juin 1916, est décédé le 24 septembre 1917 à La Machine, au camp des Glénons.
- Wilhelm Syska, né le 27 octobre 1892 à Sukalarz-Serytud (Pologne), de nationalité polonaise, engagé dans l'armée allemande et prisonnier de guerre, est décédé le 2 février 1918 à Basse-Meule, La Machine.

Les prisonniers de guerre évadés

Prisonniers français Erfurt
  • Pierre François Alexandre Maxime Marienne est né à Dompierre-sur-Besbre. Lorsqu'il passe le conseil de révision, il est instituteur à Devay. Il bénéficie d'un aménagement de la loi de mars 1905 et n'effectue qu'une année de service militaire d'octobre 1906 à septembre 1907 au 13e Régiment d'Infanterie.
    Le 4 août 1914, dans le cadre de la mobilisation générale, il est rappelé ; il est affecté au 213e R.I., régiment de réserve, qui part combattre dans le Sud de l'Alsace. Après avoir progressé en direction de Colmar, dans les premiers jours de la guerre, l'Armée d'Alsace reçoit l'ordre de se retirer sur les sommets des Vosges ; d'autres menaces pèsent alors sur Paris, jusqu'à la bataille de la Marne. Néanmoins, la ville de Thann et ses abords immédiats restent contrôlés par les Français.
    Au début de décembre 1914, une grande opération est organisée pour conquérir les sommets des Vosges qui dominent la plaine d'Alsace au Nord de Thann, dont le célèbre Hartmannswillerkopf (appelé Vieil Armand par les Français) et les villages en contrebas, Steinbach, Uffholz, Wattweiler. Le 213e R.I. va participer à cette attaque avec le 5e Bataillon de Chasseurs à pied. De violents combats s'engagent le 13 décembre, le village de Steinbach est pris ; le lendemain, les Allemands lancent une contre-attaque, les Français doivent évacuer, ils ont subi des pertes importantes, plus de 370 blessés, tués et disparus.
    Parmi les disparus du 14 décembre 1914, il y a plusieurs Nivernais, morts ou prisonniers. Le caporal Pierre Marienne est interné au camp du Heuberg, dans le Duché de Bade. Un camp qui avait été ouvert en octobre 1914 pour 3000 prisonniers, et qui en comptera 15000 en 1917, dont 7500 Russes et 5000 Français. Le camp était constitué d'une centaine de baraques construites par les prisonniers sur un plan géométrique. Les sureffectifs ont rapidement détérioré les conditions de vie et d'hygiène.
    Le 8 juin 1917, Pierre Marienne rentre en France. Il reçoit une citation et la Croix de guerre avec palme : « Très bon caporal. A toujours fait preuve de très belles qualités militaires. Fait prisonnier le 14 décembre 1914, a tenté à trois reprises de s'évader. Dans la dernière évasion, a fait preuve de très belles qualités de sang-froid et d'initiative et a rapporté de précieux renseignements sur l'ennemi. »
  • Raoul Charles Hippolyte Pointu, imprimeur à Decize, combattait lui aussi en Alsace au 213e R.I. où il avait le grade de sergent. Lui aussi, il a été signalé disparu le 18 juin 1915 au Bois-en-Brosse, sur les pentes du Hilsenfist, à quelques kilomètres de Steinbach. Ce jour-là, trois soldats issus du canton de Decize, ont perdu la vie dans ce Bois : Jean Pagneux de Saint-Germain-Chassenay, Alexandre Labrune de Decize, et Annet Morin de Fleury-sur-Loire.
  • Raoul Pointu est prisonnier au camp de Ohrdruf, puis à celui de Langesalza. Deux camps situés en Thuringe, donc très éloignés de nos lignes, et ravagés par le typhus. Il parvient à s'évader et rentre en France le 27 septembre 1917, pour être à nouveau incorporé au 213e R.I.
  • Deux autres soldats du canton, prisonniers de guerre en Allemagne, se sont évadés l'année suivante: Pierre Marceaut, de La Machine, détenu depuis le 25 février 1916, s'est échappé de son camp en juin 1918 ; Georges Férié, de Decize, pris par l'ennemi au Chemin des Dames le 27 mai 1918, puis détenu à Laon, a réussi à quitter en Belgique le convoi qui l'emmenait vers un camp ; il est rentré en France le 7 octobre 1918.

La grève des prisonniers de guerre à La Machine

  • Les prisonniers de guerre étaient affectés à des camps de travail (à l'exception des officiers), en application de la convention internationale de Genève révisée en 1906 et signée par les futurs pays belligérants de 1914.
    Le 21 juillet 1916, un contingent de 50 P.G. allemands est annoncé à La Machine. Ils seront employés comme déblayeurs et rouleurs, deux activités pour lesquelles la main d’œuvre est déficitaire. Ils arrivent le 5 août. Des baraquements en bois leur sont destinés – ils les construisent, de même que ceux des travailleurs coloniaux et chinois. Le lieutenant de Marcy, chargé du contrôle de ce camp, rédige un rapport très favorable : l'infirmerie est “très confortable”, cependant il faut agrandir le lavoir extérieur car l'effectif va bientôt augmenter.
    Il faut recruter des surveillants, car on redoute les évasions. Un appel est adressé aux anciens gendarmes, aux hommes dégagés des obligations militaires, voire aux jeunes gens qui ne sont pas encore mobilisés. La candidature du Machinois Benoît Ninlias est acceptée ; né le 28 mars 1855, cet agent de police retraité de la ville de Paris est un homme sérieux.
    Des circulaires très détaillées régissent les conditions de logement, de couchage, de chauffage, d'éclairage et de travail des P.G. ennemis. Ils dorment sur des paillasses contenant au moins cinq kilos de paille, à renouveler tous les quinze jours. Leur salaire est versé pour la plus grande partie à l'armée qui fournit les rations alimentaires sur l'ordinaire des soldats. Les P.G. perçoivent une gratification allant de 0,20 à 0,40 franc par jour (appelée les centimes de poche) et 10 centimes par heure supplémentaire. Des barèmes de sanctions sont également publiés, allant de la ponction sur salaire jusqu'au conseil de guerre, en passant par la prison en cellule au pain sec et à l'eau.
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  • Ils sont 186 au printemps 1917. C'est alors que plusieurs accrochages avec des chefs de poste français se multiplient. Le contremaître Michel se plaint des P.G. 43 et 133, qui ne cessent de bougonner, ronchonner et proférer des insultes dans leur langue, à son tour il traite le prisonnier 133 de tête de cochon, ce que l'autre comprend subitement et s'insurge ; le feldwebel Heyslen intervient pour calmer son compatriote trop nerveux.
    Début août, 164 Allemands signent une réclamation collective : ils ne veulent plus travailler à la mine et demandent le transfert dans un autre camp. Le colonel Pin et le lieutenant Cottin viennent enquêter et menacent les prisonniers de les traduire au conseil de guerre, avec le risque d'une peine de cinq ans de travaux forcés. Sur 31 PG du Puits des Minimes, 3 refusent de descendre. Aux Zagots la totalité des 10 PG a refusé. Ces 13 hommes sont arrêtés et dirigés vers la prison militaire de Decize. Le poste du matin est mis au pain sec et à l’eau. Le 9 août, la grève des P.G. repart : 36 refusent de descendre (contre 79 qui descendent, 23 malades ou blessés, 3 cuisiniers, 2 inaptes et 7 au parc à bois ). Cinq mutins « plus particulièrement arrogants » sont envoyés à la prison militaire de Decize en prévention du conseil de guerre. Un seul est transféré ensuite à Nevers. Le 10 août, le travail reprend.
    Dans son rapport, le chef de bataillon Gevrey réfute les arguments des mutins. Le travail n’est pas trop dur. A leur arrivée, 12 seulement étaient mineurs, mais les autres ont eu le temps de se former et leur rendement n’est pas plus élevé que celui des Français, des Kabyles et des Chinois. La nourriture est suffisante : par jour 600 g de pain, 200 g de légumes secs, 87 g de viande, 10 g de graisse, 12 g de sucre, 10 g de café. Les ouvriers français ne les dédaignent pas et parfois les aident ou leur donnent des suppléments de nourriture. Toutefois, des contradictions apparaissent dans les circulaires qui ont été transmises au début de l'année : « Je vous rappelle que parmi les P.G. envoyés dans les mines, seuls les mineurs de profession doivent être employés au fond, les non mineurs ne peuvent être utilisés qu’aux travaux extérieurs sur le carreau de la mine » avait écrit le même chef de bataillon Gevrey le 24 janvier 1917 ; les déblayeurs et rouleurs travaillaient pourtant au fond. Et l'un des responsables du département des mines au Ministère de l'Industrie avait écrit à M. Salin, directeur de l'établissement de La Machine : « ces prisonniers devront en outre être occupés autant que possible, dans les quartiers les moins aérés », donc dans les postes les plus dangereux...
    Gevrey conclut son rapport : « Les événements actuels de Russie ne sont peut-être pas sans influence sur le moral des P.G. de ce camp. »
  • Une seconde révolte éclate quelques semaines plus tard, presque dérisoire, à propos de confitures. Le journal L'Œuvre en rend compte le premier septembre 1917 sous le titre Grave question économique.
    « Dans un camp de prisonniers de guerre dépendant du dépôt de Nevers, une grave question d'ordre alimentaire s'est posée. Du moins, elle a été posée officiellement en ces termes : L'adjudant chef du détachement de PG.G. de … demande au chef de bataillon commandant le dépôt si les confitures constituent un dessert. La cantinière du camp étant en assez mauvais termes avec le chef du détachement, celui-ci avait pris l'offensive en faisant remarquer : 1° que, dans le service intérieur, la vente de desserts aux prisonniers était interdite : 2° que la cantinière vendait des confitures. Mais pour conclure à une mesure prohibitive, il manquait un élément d'instruction : les confitures rentrent-elles dans la catégorie des dessert ? L'adjudant chef de détachement, avec modestie, se déclarait incompétent en la matière ; car, dans le civil, il exerce la profession de tapissier-décorateur. Or le chef de bataillon commandant le dépôt, en ayant délibéré, a répondu : oui, les confitures sont bien des desserts.
    D'ailleurs, les prisonniers boches, en se mettant parfois en grève comme des prolétaires conscients et organisés, se chargent de rappeler à l'adjudant que nous sommes en temps de guerre.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 18 février 2015 à 11:29 (CET)