Insoumission et désertion

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Guerre 1914-1918 57.jpg

Insoumis et déserteurs(1).

  • En temps de guerre, le crime le plus grave est la désertion. Dans les manuels de droit militaire, la désertion devant l'ennemi est passible de la peine de mort. Mais, dans les faits, les fusillés pour l'exemple ont été relativement rares, et les autorités n'ont été impitoyables que lorsque des insoumissions massives se produisaient (à Craonne en 1917). Il est évidemment beaucoup plus difficile de dénombrer les soldats abattus individuellement par leurs chefs (ou l'inverse) dans le feu de l'action. Les soldats qui fuyaient le front ont été presque tous repris et placés à nouveau dans des unités combattantes, ou des bataillons disciplinaires.
    Les désertions les plus fréquentes se sont produites lors de permissions ou pendant des périodes de convalescence dans des hôpitaux de l'arrière. Elles étaient signalées aux préfectures et aux gendarmeries des départements d'origine des soldats mobilisés. Presque toujours, les déserteurs étaient repris, et certains se livraient eux-mêmes après quelques jours d'errance. Tout au long de la Première Guerre mondiale, la préfecture de la Nièvre a été saisie par les autorités militaires d'environ 300 demandes de recherches de soldats insoumis ou déserteurs(2). Cette procédure existait déjà avant 1914 - et elle s'est prolongée jusqu'aux guerres les plus récentes. Quelques dossiers concernent des soldats nés ou domiciliés dans le canton de Decize.

Les premiers insoumis l'étaient-ils volontairement, par négligence, ou par la force des choses ?

  • Le cas de Louis Roy est complexe : né à La Machine le 15 juin 1893, il réside à Buckner (Illinois, U.S.A.) lorsque la guerre se prépare. Sa convocation au centre mobilisateur d'Autun reste sans effet et le 3 juillet 1914 le colonel du 29e R.I. le porte absent. Bien qu'émigré en Amérique, Roy était resté citoyen français. En juillet 14, la guerre n'était pas déclarée et il n'était appelé que pour la durée du service militaire.
    En août 14, d'autres Nivernais se trouvent à l'étranger et ils sont inévitablement insoumis : parmi eux, Julien Dapoguy (de La Charité) vit à Chicago, Jean Daubon (de Magny-Cours) à Para (Brésil). Le séminariste Pierre André (de Gacogne) est en pays ennemi, à Thannhausen (Autriche) lorsque l'ordre de mobilisation lui est signifié.
    L'un des cas les plus originaux de ces « insoumis sans le savoir » est celui d'André Gautheron, étudiant originaire de Sougy. Recensé dans la classe 1916, il est appelé par anticipation le 12 avril 1915. Il ne rejoint pas son unité, le 21e R.I. Ce jeune homme est pourtant le fils du général François Abel Gautheron qui a dirigé l'artillerie coloniale pendant les premiers mois du conflit et qui a ensuite été chargé de recruter des troupes indigènes à Madagascar. André Gautheron est d'abord déclaré insoumis puis les autorités s'aperçoivent qu'il ne peut pas se rendre à son régiment puisqu'il est prisonnier civil depuis le 9 novembre 1914 ; interné en Allemagne, il est rapatrié le 16 juin 1918 dans le cadre d'un échange de prisonniers sous les auspices de la Suisse.

Certains insoumis sont réellement introuvables.

  • Joseph Croat (de Millay) passe la guerre sans problème ; il est repéré en 1922 par un consul de France au Canada.
    Pierre Chantereau, né à Verneuil le 5 avril 1887, est réserviste. Mais il n'habite plus dans son village de naissance ; son dernier domicile connu est quelque part en Seine-et-Oise, une imprécision qui l'empêche de recevoir son rappel et il est déclaré insoumis le 7 août 14.
    Le peintre en bâtiment Charles Deschamps, né le 7 septembre 1893 à Decize, échappe à la guerre. Le 9 décembre 1913, il aurait dû rejoindre son régiment ; il ne le fait pas, il est considéré comme insoumis ; il réside alors en Italie, à Turin. Le 3 août 1914, le jour où la guerre est déclarée, il se présente au Consulat de France de Gênes ; après avoir obtenu une réforme temporaire, il est versé le 30 novembre 1915 dans le 5e Bataillon d'Infanterie Légère d'Afrique. Les fameux Bat' d'Af' accueillent les têtes brûlées et les réfractaires. À nouveau, Deschamps est introuvable ; il est arrêté à Paris le 15 juin 1918, et réformé définitivement pour tuberculose pulmonaire le 8 juillet 1918. Une maladie bien réelle, puisqu'il décède dans la capitale le 4 juin 1919.
    Alcide Hector François Virmoux, né à Decize en 1872, donc âgé de 44 ans, aurait dû échapper à la Territoriale. Les gendarmes ne le trouvent pas à Decize en octobre 1916, mais ils parviennent à localiser l'une de ses anciennes adresses : 24 rue Boyer Barret à Paris. Virmoux s'y trouve-t-il ?

Un cas original : L'insoumis Louis Joseph Bouchon évite la guerre par la prison.

  • Louis Joseph Bouchon est né le 9 mai 1889 à Druy-Parigny. Il n'est recensé qu'en 1910, puisqu'il était introuvable en 1909. Il est à nouveau sans domicile fixe, ce qui lui attire quatre condamnations pour vagabondage entre le 10 novembre 1910 et le 18 août 1911 ; les tribunaux correctionnels d'Évreux, Chinon, Libourne puis à nouveau Chinon lui infligent 6, 8, 6 et 15 jours de prison.
    Le 4 décembre 1911, comme il n'a pas rejoint son régiment, le 24e R.I., il est déclaré insoumis. Les gendarmes l'arrêtent cinq jours plus tard à Montguyon (Loire-Inférieure). Il est condamné par le tribunal militaire à un mois de prison et le 22 janvier 1912, ayant purgé sa peine, il est incorporé au 24e R.I. Il n'y reste guère puisqu'il obtient d'être réformé temporairement par la commission spéciale de réforme de Perpignan pour pleurésie sèche. Comment-a-t-il fait pour contracter cette maladie en si peu de temps de service et sous le climat de Perpignan ?
    Louis Joseph Bouchon reprend son vagabondage et il écope de deux nouvelles condamnations, 3 mois par le tribunal correctionnel de Chinon, et 4 mois par la Cour d'Appel de Paris (parce qu'il a le culot de faire appel...) L'autorité militaire le récupère alors et l'envoie en Algérie, au 1er Bataillon d'Infanterie Légère d'Afrique, à Tlemcen, où il arrive le 20 août 1913. À peine un mois plus tard, le 29 septembre 1913, il est réformé, et cette fois définitivement. Il revient en métropole et multiplie les infractions : le 8 décembre 1913, le tribunal d'Orléans le condamne à 4 mois de prison pour mendicité ; le 3 juin 1915, le tribunal de Tours lui inflige 3 mois de prison pour mendicité ; le 9 mars 1916, le tribunal de Tours augmente la sanction, cette fois c'est 6 mois.
    La guerre se termine sans que le conscrit Bouchon ne rejoigne les poilus, et sans que la justice n'ajoute d'autres sanctions. Mais Louis Joseph Bouchon, qui s'était sans doute un peu stabilisé, est à nouveau condamné le 25 août 1921 à 25 francs d'amende pour infraction à la circulation des nomades. Telles sont les mentions portées sur sa fiche matricule.
(Archives Départementales de la Nièvre, 1 R 379, fiches 299, 300).

Et puis, il y a les déserteurs, ceux qui, après quelques mois au front, profitent d'une permission, d'un repos à l'arrière, ou d'une hospitalisation, pour filer.

Arrestation d'un déserteur
  • L'un d'entre eux est déserteur malgré lui : Lucien Godefroy, réserviste du 269e R.I. n'a rejoint son cantonnement qu'avec un jour de retard sur sa permission ; il est acquitté car les conditions de transport sont aléatoires. Jules Breugnot, qui a quitté le 13e R.I. sans permission, se fait arrêter dans sa commune natale de Saint-Léger-des-Vignes. Antoine Bonneau, né à Saint-Léger-des-Vignes en 1875, est mobilisé dans le 83e R.I.T. En juin 1918, trouvant peut-être que la guerre avait assez duré, il part en permission pour son village natal et ne revient pas à son casernement.
    Plusieurs déserteurs sont récidivistes, fuyards impénitents, repris, punis, mais opiniâtres. Un autre Léogartien, Gilbert Tardivon, réserviste né en 1885, déserte une première fois en décembre 1915. Repris, il est affecté au 1er Bataillon d'Afrique. Blessé, il est hospitalisé à Vanves. Le 15 janvier 1918, il obtient une permission de deux jours à Paris et ne rejoint pas l'hôpital. Arrêté, il parvient à s'évader d'un autre hôpital, celui de Belfort, le 21 avril 1920. La guerre est finie et Tardivon devait avoir hâte de retrouver sa compagne Joséphine Martin, ou une autre...
    Un troisième soldat natif de Saint-Léger-des-Vignes est déclaré en fuite le 27 décembre 1918(3). C'est Jean Duard, du 500e R.I.T. Son signalement est le suivant : taille 1,62 m, cheveux et sourcils noirs, yeux gris, nez moyen, front découvert, visage ovale et menton rond.
    Marcel Guérault, garçon de café né à La Machine, est mobilisé en avril 1915 dans un bataillon d'infanterie légère d'Afrique. Il est en Tunisie lorsqu'il écope d'une première condamnation pour coups et blessures volontaires et il effectue quatre mois de prison. Amnistié et versé dans un autre bataillon de marche d'Afrique, il fausse compagnie à son unité dans un convoi automobile, le 31 mars 1918 ; déclaré déserteur, il est arrêté une semaine plus tard. Compte tenu de ses antécédents, il est cette fois condamné à cinq ans de prison. Il sera remis en liberté (anticipée) le 5 juin 1920.

Le spécialiste de la désertion c'est Lucien Jean-Baptiste Schild.

  • Un cultivateur célibataire résidant à Champvert, né le 15 juin 1897. Sa carrière est une suite d'évasions et d'arrestations. Incorporé au 35e R.I. le 8 janvier 1916, il déserte six mois plus tard. Ramené par les gendarmes après trois semaines de fugue, il est muté au 60e R.I. le 22 décembre suivant. Blessé, il est évacué le 1er février 1917 et il s'enfuit. Les gendarmes le reprennent le 19 avril. Schild déserte encore le 14 mai ; il est ramené le 27 août. Il reste un peu plus d'un an dans son régiment, puis il est versé par mesure disciplinaire dans le 2e Bataillon de Marche d'Afrique. Blessé une seconde fois, il est évacué le 24 novembre 1918. Il entre à l'Hôpital n° 82 de Dijon le 5 mars 1919, le lendemain il est transféré dans un autre hôpital de Dijon, le surlendemain il s'évade. En mai 1919, le Tribunal Correctionnel de Dijon condamne Schild par contumace à trois ans de prison pour vol...
    En mars 1918, la gendarmerie arrête trois déserteurs du 13e R.I., Jean-Alexandre Equilbec, Jacques-Roger Tigé et Pierre Chavasson. Par égard pour les remarquables faits d'armes de leur régiment, leur peine est modérée : six mois de prison avec sursis.

(1) Ce chapitre concerne l'ensemble de la guerre. Cf. Le Canton de Decize pendant la Grande Guerre, pp. 51-52.
(2) A.D. N., cotes 2 R 3285 et 3287.Deux documents statistiques indiquent pour le canton de Decize 17 et 14 déserteurs (certains déserteurs ont été amnistiés, et il y a eu des récidivistes), A.D.N., cote R 3000.
(3) La démobilisation s’est faite très lentement. Ainsi, certains soldats de l’Armée d’Orient n’ont été rendus à leurs foyers qu’au milieu de l’année 1919 ; d’autres ont été maintenus sous les drapeaux pour faire face à la menace d’invasion russe de la Pologne et de la Roumanie.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 12 décembre 2015 à 18:23 (CET)