Genevoix Maurice

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Son acte de naissances avec les mentions marginales

Une photo de son acte de naissance figure à droite de cette page.

Il est mort le 8 septembre 1980 à Alicante, en Espagne, il avait 89 ans.

Son entrée en guerre

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  • Maurice Genevoix, né à Decize le 29 novembre 1890, est normalien à Paris lors de la mobilisation. Il a consacré plusieurs ouvrages à la guerre qu'il a vécue d'août 1914 jusqu'à sa grave blessure en avril 1915.

L'air martial d'un officier.

  • Maurice Genevoix raconte comment il s'est fait tirer le portrait par un photographe de Verdun, pendant une permission.
« Je suis entré sans réfléchir : à peine avais-je frôlé la devanture, j'avais déjà poussé la porte et me trouvais gêné, parmi la foule menue, figée, niaisement souriante des portraits.
« Vous désirez, Monsieur ? »
Elle est très jeune, avec une poitrine plate d'androgyne, un doux visage moutonnier qui sourit comme ceux des portraits.
« Je désirerais me faire photographier. »
Elle me regarde, elle va dire quelque chose. Mais tout à coup, se retournant vers le fond de la petite boutique, elle appelle :
« Monsieur Anselme ! »
Les marches d'un escalier gémissent ; un gros homme à barbiche blanche apparaît, penché sur la rampe.
« Si vous voulez monter, lieutenant ? »
Et je monte ; et je pose, devant le rideau peint à l'huile, herbes vagues en camaïeu sous des nuages aux volutes harmonieuses.
« Levez la tête... Un peu en avant, la jambe gauche... L'air martial, que diable, lieutenant ! »[...]
Un déclic. J'ai pensé : « Je suis foutu » ; et, résigné, je pose pour la seconde fois.
« Je vous remercie, dit M. Anselme. Vous repasserez dans huit jours... A partir de huit jours, enfin... quand vous pourrez. »
Il est exquis, M. Anselme(1). »

Le Journal de Marche et des Opérations du 106e Régiment d'Infanterie.

  • Le premier cahier du J.M.O. du 106e R.I. consacré à la guerre couvre la période du 1er août au 18 octobre 1914. Page 16, il est fait mention, pour la première fois du sous-lieutenant de la 7e Compagnie Porchon, et du sous-lieutenant de réserve de la 7e Compagnie Genevois [sic]. Les deux jeunes hommes ont rejoint le régiment à Gercourt le 26 août, avec le 2e Bataillon, commandé par le capitaine Bord, un bataillon qui était jusque là resté en formation à Châlons-sur-Marne.
  • Les soldats appartenant au premier échelon sont embarqués le 1er août à Châlons ; le lendemain, ils descendent du train à Thiaucourt-Regniéville et s'installent dans le village de Saint-Benoît-en-Woëvre ; le 2e échelon les rejoint le 4 août. La frontière avec la Lorraine occupée est à quelques kilomètres.
  • Le lendemain, deux coups de canon sont entendus ; c'est une fausse alerte. L'ambiance est explosive : le 7 août, deux soldats sont blessés par des civils qui les ont pris pour cibles ; les agresseurs ont aussitôt disparu.
  • Du 10 au 15 août, le 106e marche vers le nord en longeant la frontière ; il bivouaque dans les villages de Nonsard, Viéville, Hattonville, Hannonville-sous-les-Côtes, Saux-en-Woëvre. Autant de villages d'où partiront les obus ennemis, quelques semaines plus tard.
  • Le 17 août, un biplan allemand lance 4 bombes qui ne font que des dégâts matériels. Le 18 août, la marche continue à étapes forcées vers Gouraincourt, Pierrepont, Ugny. Le 106e est maintenant tout près du camp retranché de Longwy et des frontières du Luxembourg et de la Belgique.
  • Les 22 et 23 août ont lieu les premiers engagements. Les soldats français doivent essuyer un tir d'artillerie et se replier sur le village d'Arrancy, près de Longuyon. Ils refoulent plusieurs attaques allemandes, mais ils doivent reculer vers le Bois Deffay et le village de Pillon. Dans un engagement, le colonel Collignon est grièvement blessé ; le commandement provisoire est confié au commandant Payard. Le second repli est beaucoup plus conséquent, puisque le régiment se retrouve à Forges-sur-Meuse, à près de 30 km à vol d'oiseau de son avancée extrême.
  • Le 2e Bataillon (auquel appartiennent Genevoix et Porchon) débarque du train le mercredi 26 août dans la petite gare de Charny, à quelques kilomètres au nord de Verdun. « Il est une heure du matin. Dans le tumulte, face aux portes des fourgons qui soufflent une haleine lourde, les sections se reconstituent. Et l'on se met en marche, lentement, pesamment. » Une marche qui conduit le bataillon sur la rive droite de la Meuse, à Bras, à Vachérauville, où Maurice Genevoix croise un convoi de réfugiés : « Midi. Au bas de la pente, sur la route, des voitures passent, grands chariots à quatre roues que traîne un cheval maigre et galeux. Des paniers d'osier, des ballots, des cages à lapins s'y entassent pêle-mêle ; par-dessus, des matelas, des oreillers, des édredons d'un rouge passé, en monceaux. Des femmes sont assises en haut, le dos étroit et minable, les mains jointes et pendantes, les yeux vagues. Elles semblent engourdies dans une songerie sans fin. Par-ci par-là, dans ce bric-à-brac lamentable, des têtes de mioches émergent, cheveux jaunes et mêlés, museaux morveux. Derrière le chariot, quelques vaches suivent, tirant du cou sur leur longe et meuglant. Un gars dégingandé, larges mains et vastes pieds, fouet au poing, les pousse à grands coups de pied dans les jarrets(2). » Peu de temps après cette rencontre, une fusillade est déclenchée en direction d'un ennemi imaginaire ; le 2e bataillon et ses chefs font preuve de nervosité.
  • Les étapes suivantes sont d'autres villages à moitié désertés et le bataillon retrouve le reste du régiment à Gercourt. Une cérémonie funèbre est organisée à la mémoire du colonel, mort des suites de ses blessures.
  • Le 106e est engagé trois jours plus tard à la lisière sud du bois de Septsarges, près de la Butte de Montfaucon. Des schrapnells, des obus allemands obligent les soldats à se terrer dans leurs premières tranchées.
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La retraite du 106e R.I., où il est sous-lieutenant. (J.M.O. du Régiment et souvenirs rédigés par Maurice Genevoix).

  • Le 106e est engagé à la lisière sud du bois de Septsarges, près de la Butte de Montfaucon. Des shrapnells, des obus allemands obligent les soldats à se terrer dans leurs premières tranchées. Les Allemands se font de plus en plus menaçants : ils ont franchi la Meuse et bousculent les défenses françaises. Commence alors une longue marche de retraite « loin de l'ennemi » selon les termes employés par l'État-Major. Du 3 au 6 septembre, le 106e se replie vers le sud sur une distance d'environ 40 kilomètres. Une position plus sûre est trouvée entre le Signal de Beauzée et le village de Sommaisne. Les officiers lancent une attaque vers le village de Pretz, mais l'ennemi est en nombre ; une violente fusillade éclate, certaines unités françaises se disloquent et refluent en désordre. Une nouvelle position est tenue le long d'une ligne de chemin de fer, qu'il faut protéger à tout prix.
  • « Le six septembre, ce furent les balles. Une brise tiède courait dans les avoines. Si une bataille réelle a ressemblé un jour à celles que j'avais pu imaginer, je consens que ce soit celle-là, du moins en ses toutes premières heures.
    Devant nous, en avant de Sommaisne, les obus éclataient sur les toits de Pretz-en-Argonne. La fusillade crépitait de toute part, dense, par instant frénétique, mais concevable et, si j'ose dire, banale. Nous étions pourtant engagés, et à plein. La ressemblance s'affirmait : nous progressions, déployés en tirailleurs. Je pouvais voir, jusque loin à ma gauche dans la plaine, de minces lignes de soldats bleus et rouges, les unes collées au sol, les autres semblant glisser latéralement, très vite, vers les Allemands encore invisibles. Ainsi avancions-nous, « par bonds ».
    Un geste de mon bras droit soulève les hommes autour de nous. Nous courons, j'entends le martèlement des pas, le froissement des épis foulés, les grosses détonations des lebels qui tirent derrière nous. A chaque bond je cherche des yeux le talus, le pli du terrain, le fusil déjà prêt, épaulé. Mon képi levé à bout de bras, je fais signe à l'autre demi-section. Et aussitôt elle est debout, elle s'élance, nous rejoint, nous dépasse, tandis qu'autour de moi les lebels crachent leur magasin.
    Cet allant, cet entrain, cette perfection manœuvrière m'emplissent le cœur d'admiration et, par conséquent, d'enthousiasme. Étions-nous au champ de manœuvres ? Je pensais à la cour de notre caserne bordelaise, trois ans plus tôt, aux assauts dérisoires que nous y avions menés, aux cartouches en bois qu'à grand cliquetis de culasses nous éjections dans la poussière. Mais cette fois, me disais-je, je me bats, c'est sérieux(3). »
  • La bataille rangée, c'est autre chose que l'exercice ; l'avance en bon ordre, l'enthousiasme du sous-lieutenant qui fait progresser sa section ne durent que quelques minutes. Maurice Genevoix entend parfois à ses côtés un « cri rauque, étranglé », il entend « le choc des balles qui entraient dans les corps » ; dans sa course, il dépasse un mort, un deuxième, d'autres... Au rapport du lendemain matin, il doit annoncer 21 hommes tués ou blessés sur un effectif de 60 ; et encore, sa section est-elle la moins éprouvée de la compagnie.
  • Le soir du 10 septembre, les Allemands lancent une attaque nocturne ; le 106e a de nombreux tués et blessés. Maurice Genevoix se bat sur la butte de la Vauxmarie. Il est soudain entouré d'Allemands. Il leur échappe en coiffant un casque à pointe et en criant le mot d'ordre qu'il a surpris : Heiligthum (Sainteté). Il doit aussi abattre au revolver trois fantassins ennemis. « Ils se sont effondrés avec le même cri étouffé. Cela a été la première occasion, - la seconde et dernière aux Eparges, le 18 février au matin, - où j'ai senti en tant que telles la présence et la vie des hommes sur qui je tirais. Heureusement, ces occasions étaient rares, et, lorsqu'elles survenaient, elles n'admettaient guère qu'un réflexe à défaut de retour sur soi-même : il s'agissait de tuer ou d'être tué(3). »
  • Le régiment se reconstitue progressivement près du village des Marats. L'avance allemande a été brisée plus à l'ouest, sur la Marne. Un mouvement de contre-attaque s'ébauche : le 106e remonte vers le nord. Il lui est imparti de dégager Verdun. Le 15 septembre, à Louvemont, il reçoit le renfort de 505 réservistes.
  • Le second bataillon contourne Verdun par l'ouest, il arrive le 17 septembre au Bois des Caures, puis il longe à nouveau la ligne de front, passant par les forts de Vaux, Douaumont et Tavannes. D'autres unités sont chargées de la défense de ces sites stratégiques. Le 106e se regroupe à nouveau le 22 septembre à Rupt. C'est un secteur qui deviendra vite familier à Maurice Genevoix et à ses compagnons : Mouilly, Saint-Rémi, les Eparges, la cote 304, la tranchée de Calonne, la ferme d'Amblonville seront pendant un an leurs cantonnements ; beaucoup d'entre eux y seront blessés, tués.
  • Le 24 septembre, le second bataillon monte en première ligne. L'offensive est un échec ; des fuyards du régiment voisin, le 288e, entraînent plusieurs éléments du 106e. Un corps à corps assez confus s'engage dans un bois touffu. Ce jour-là, Maurice Genevoix connaît quelques minutes d'affolement : « Un choc au ventre, à hauteur de ceinture, m'avait plié en deux, genoux fauchés, souffle coupé. En pleine mêlée, presque au contact (le son aigre des fifres allemands déjà proche et distinct à travers le vacarme d'une fusillade acharnée), je me suis jugé perdu. Et aussitôt, tandis que mes doigts, fébrilement, débouclaient mon ceinturon, ouvraient à l'aveuglette mes vêtements, cherchaient en tâtonnant ma plaie, de tout mon être aussi, ce jour-là, j'ai senti physiquement les « affres de la mort » fondre sur moi et me saisir(4). [...] Je regarde mon ventre d'un air stupide ; mon doigt va et vient machinalement dans le trou de ma capote... Et soudain la clarté surgit, tout mon abrutissement dissipé d'un seul coup » : la balle a frappé le bouton métallique qu'elle a arraché, puis le choc a été amorti par le ceinturon de cuir. Maurice Genevoix n'a aucune blessure.
  • Des journées de repos à Mouilly et de demi-repos dans les abris de la tranchée de Calonne alternent avec de rudes journées de guet sur la croupe 372, dans le Bois Loclont : un assaut allemand est repoussé le 4 octobre ; le régiment reçoit en renfort un nouveau détachement venu du dépôt.
  • Du 10 au 12 octobre, avec l'aide du génie, le régiment parvient à faire progresser de 50 mètres les tranchées avancées ; malgré un intense bombardement ennemi, il effectue un nouveau bond de 105 mètres. Le 18 octobre, il occupe le village désert des Éparges.

Aux Éparges avec le 106e R.I.

Monument commémoratif des combats aux Éparges
  • Le cahier n° 3 du Journal des Marches et Opérations du régiment rapporte les événements du 1er janvier au 31 mars 1915.
L'année commence par une violente fusillade, entre 23 h et 23 h 20 (minuit, à l'heure allemande). La pluie redouble d'intensité : « Depuis quelques jours, pluies persistantes effondrant boyaux, parapets, abris, qu'il faut réparer, et arrêtant les travaux de sape » (8 janvier).
Le second bataillon a droit à quelques jours de repos à Sommedieue.
15 et 16 janvier : plusieurs obus détruisent sapes et tranchées.
Le 17 janvier, « des travailleurs allemands aperçus à la crête des Éparges et au col de Combes ont été dispersés par nos mitrailleuses du Bois-Haut. » La Crête des Éparges culmine à l'altitude de 346 mètres. Elle est longue de 1400 mètres. « Ses flancs sont abrupts et glissants. De nombreuses sources en jaillissent. Il y pleut souvent. C'est une montagne de boue(6). »
La fin du mois de janvier est consacrée à établir un deuxième réseau de barbelés et un entrelacs de sapes sous les lignes allemandes. L'État-Major a découvert une cuvette protégée par plusieurs crêtes ; le 106e fournit des corvées de 300 hommes pour creuser des abris dans cette cuvette, et de 200 hommes pour y transporter des rondins.
Le 12 février, attaque de nuit sur Saint-Rémy : 12 prisonniers allemands sont ramenés.
Les combats les plus sanglants ont lieu du 17 au 20 février. Le 17, le deuxième bataillon, sous les ordres du commandant Marchal, attaque l'éperon ouest des Éparges. Il conquiert plusieurs lignes de tranchées allemandes et fait 20 prisonniers (appartenant au 8e Régiment Bavarois). Le lendemain, il faut tenir les positions conquises, sous un violent bombardement. En trois heures, le bataillon enregistre des pertes sensibles ; deux compagnies perdent 1/3 de leur effectif. « L'exiguïté de la position ne lui [le 2e bataillon] permet pas de bouger de place et il se trouve très éprouvé matériellement et moralement au bout de ces trois heures passées sous ce feu terrible. »
« Un obus de rupture énorme était tombé à deux mètres de moi, sur le parados de notre tranchée. Nous y étions dix-sept encore. Tous ont été tués ou blessés. J'ai été le seul épargné, parce que j'étais le plus près du point de chute : comme si les gerbes d'éclats fauchants, ruées vers leur besogne de mort, étaient passées sur moi sans me voir. C'est par-derrière, à la base du crâne, que m'a frappé le choc de l'explosion. [...] Ces expériences, nous les nommions des coups de veine(5). »
Après la préparation d'artillerie, les Bavarois contre-attaquent et il faut évacuer plusieurs entonnoirs et une tranchée, « deux de ces entonnoirs étaient d'ailleurs d'énormes trous, dans chacun desquels pouvait se tenir toute une compagnie ; leur organisation, comme ligne de défense, était excessivement difficile et n'avait pu être qu'ébauchée dans la nuit. » Après un nouveau repli sur les anciennes première lignes françaises parvient l'ordre suivant du général de division : « des mesures doivent être prises immédiatement pour reprendre la position perdue... » Elle est reprise dans la journée.
Le régiment a perdu un grand nombre de combattants, dont sept officiers : le capitaine Pruneaux, le lieutenant Rohr, les sous-lieutenants Mundviller, Huchard, Magnien, Vallut et Porchon (le supérieur et camarade de Maurice Genevoix(7)). Le capitaine Labbé est blessé. Un nouvel organigramme du régiment indique alors qu'il est sous les ordres du lieutenant-colonel Barjonet ; le second bataillon est commandé par le commandant Bord ; le sous-lieutenant Genevoix et le sous-lieutenant Brun reçoivent bientôt des responsabilités nouvelles : Genevoix dirige la 5e compagnie. Le bataillon est passé en revue le 25 février à Belrupt par le général commandant le Corps d'Armée.
A la fin du mois de mars, un nouveau bond de 60 mètres permet de prendre une partie de la crête des Eparges.

Qu'est-ce que les Nivernais savaient de ces combats ?

  • Une série d'article parus entre le 21 et le 27 février dans le journal Paris-Centre raconte les durs combats des Éparges et de Saint-Rémy. Il souligne l'importance de l'aviation qui a permis de repérer les lignes ennemies et de donner des informations aux artilleurs. Après un violent bombardement, nos troupes ont conquis un bastion et 500 mètres de tranchées. L'ennemi a été décimé, les survivants étaient un seul officier et 25 soldats bavarois. Le 19 février, après une contre-attaque, il a fallu opérer un mouvement de repli, mais la position a été de nouveau conquise. Le lendemain, prise d'un bois de sapins et de plusieurs tranchées du saillant. Notre armée a fait plus de 200 prisonniers dont deux officiers.
Maurice Genevoix blessé

Blessé aux Éparges.

Le cahier n° 4 du J.M.O. du 106e R.I. commence au début d'avril ; il se poursuit après sa blessure et son évacuation (25 avril 1915).

  • Le 5 avril, « le temps depuis le matin est très mauvais : pluie serrée et continue qui détrempe le sol argileux de la crête. Les boyaux et sapes sont pleins de boue liquide et transformés en ruisseaux. » La cinquième compagnie du second bataillon occupe une tranchée sur les hauteurs des Éparges face au sud. Prise d'une tranchée ennemie, évacuation, reprise. 16 grenadiers allemands dont un officier sont faits prisonniers. Le lieutenant-colonel Barjonet est légèrement blessé à la jambe mais il tient à conserver son commandement.
  • 11 avril : relève à Dieue. Amalgame des renforts avec les anciens. Ce sera le dernier temps de repos de Maurice Genevoix. « Quelle belle chambre ! Quels beaux meubles « de ville » : noyer frisé, armoires à glaces biseautées, table de toilette à dessus de marbre blanc. On dirait une plaque de savon de Marseille où sinuent des veines bleutées. Toute la chambre fleure encore l'atelier du menuisier.
    Déjà six jours ! Est-ce possible (8) ?
     » Il faut cependant quitter ce luxe pour retrouver les tranchées boueuses, le bruit des marmitages, la peur, la souffrance...
  • Le 24 avril, l'alerte est donnée à 13 h. Le bataillon se dirige rapidement sur le village de Rupt. À 16 h 30, il prend position sur la cote 372, au nord-est de Mouilly. Le lendemain, des liaisons sont assurées avec les 54e et 301e R.I. qui tiennent des positions voisines. C'est en inspectant les tranchées de sa compagnie que le sous-lieutenant Maurice Genevoix est touché au bras gauche puis à l'aisselle.
    « Trop tard : je suis tombé un genou en terre. Dur et sec, un choc a heurté mon bras gauche. Il est derrière moi ; il saigne à flots saccadés. Je voudrais le ramener à mon flanc : je ne peux pas. Je voudrais me lever : je ne peux pas. Mon bras que je regarde tressaute au choc d'une deuxième balle, et saigne par un autre trou. Mon genou pèse sur le sol, comme si mon corps était de plomb ; ma tête s'incline : et sous mes yeux un lambeau d'étoffe saute, au choc mat d'une troisième balle. [...] Il faut me lever, me traîner ailleurs...(9) »
    Maurice Genevoix est évacué. « Dans la vieille Ford cahotante qui nous emmenait vers l'hôpital, nous étions six, sur six brancards superposés, tous grièvement atteints, et la mort était du voyage. Les ténèbres, l'odeur de sang et d'eau de Javel, les cris brusques à chaque cahot martyrisant, comment ne m'en souviendrais-je pas ? » écrit-il 65 ans plus tard(10).
    Le lendemain, le 106e est bousculé par une violente attaque du 73e Régiment Hanovrien. Les commandants Bord et Bestagne sont blessés. La tranchée de Calonne a été en partie envahie par l'ennemi. Le 27 avril, les 1er et 2e bataillons à effectifs très réduits sont retirés en seconde ligne ; un renfort de 413 hommes, prélevé sur le 71e R.I., vient renforcer le 2e bataillon.
    Pour Maurice Genevoix, les combats sont finis. Après plusieurs mois d'hospitalisation, il est démobilisé, mutilé, invalide. Au cours de sa convalescence, il reçoit la visite de son ami Paul Dupuy, ancien normalien comme lui : Dupuy a communiqué à Guillaume Bréton, autre ancien normalien devenu administrateur de la librairie Hachette, plusieurs lettres que lui avait envoyées Genevoix depuis le front. Et Guillaume Bréton est enthousiaste. Pourquoi Maurice Genevoix n'écrirait-il pas un livre pour retracer sa guerre ?
    Sous Verdun paraît en 1916, avec une préface de l'historien Ernest Lavisse. Les livres de guerre sont évidemment à la mode et le Prix Goncourt de l'année précédente a été décerné à Gaspard, un roman de René Benjamin qui donne une vision patriotique, héroïque, enjolivée, de la guerre, conforme aux vœux des autorités militaires et politiques. Sous Verdun paraît trop réaliste, trop sincère, et la censure n'épargne pas certains passages où Maurice Genevoix a simplement reproduit les notes de ses carnets. Pourtant, avec Le Feu, un autre livre très dur, marqué par la puanteur, le sang, la souffrance et la peur, Henri Barbusse obtient le Goncourt 1916. Plus tard, le Prix Fémina sera décerné à Roland Dorgelès pour Les Croix de Bois. Les anciens combattants retrouveront leurs propres expériences, leurs misères, les horreurs et la camaraderie des tranchées et ils assureront le succès de ces témoignages écrits.
    Maurice Genevoix se consacre alors exclusivement à l'écriture. Suivent quatre autres titres retraçant sa guerre : Nuits de guerre en 1917, Au Seuil des Guitounes en 1918, La Boue en 1921 et Les Éparges en 1923. Il les alterne avec des fictions : Rémi des Rauches, Jeanne Robelin. La consécration arrive avec Raboliot (Prix Goncourt 1925).
    L'académicien Maurice Genevoix a tenu un rôle important dans les associations d'anciens combattants. En 1959, il a été élu président du Comité National du Souvenir de Verdun. Il s'est préoccupé de l'aménagement des champs de bataille autour de Verdun, en particulier de l'éperon des Éparges. Il a appuyé le projet de Mémorial, reconnu d'utilité publique le 6 février 1962. Ce mémorial a été construit près du village détruit de Fleury-sous-Douaumont à partir du 13 avril 1964 sur les plans de l'architecte Charles Legrand(11). Maurice Genevoix a prononcé une allocution lors de l'inauguration du Mémorial, le 19 septembre 1967.
    En 1980, quelques mois avant de mourir, lorsqu'il publie le bilan de sa vie (Trente mille jours), Maurice Genevoix avoue la place primordiale de la guerre dans sa mémoire : « Il m'arrivera encore de me heurter soudain au creuset où nous avons été ensemble, garçons de 1914, précipités et brûlés. Je mentirais par omission coupable si j'éludais cette fatalité(12). »
    « La guerre... Tant d'appétits, d'ambitions, de rivalités mesquines, rêves de galons, de médailles ou de croix, affaires louches, entreprises froidement calculées, plus redoutables et meurtrières à mesure qu'on s'éloigne du rang, voix tremblante d'un général, au bout du fil du téléphone, à l'annonce que la crête est perdue, aigres plaintes pour un imaginaire passe-droit, intrigues lointaines qui du dépôt viennent nous éclabousser, tabac, beuveries, abrutissement, qu'est-ce que serait la guerre sans vous, Legallais et Laviolette, sans vous Butrel et Sicot, qui avez pris votre vie à deux mains, et l'avez haussée d'un élan jusqu'aux lèvres de l'entonnoir, sous les balles ? Je nous revois ; je me vois avec eux, là-haut : et c'est en moi une grande fierté triste, la certitude émouvante d'un pardon... J'ai tiré ; eh bien ! oui, j'ai tiré. Lorsque je m'élançais là-haut, était-ce donc vers la joie de tuer, vers l'Allemand qui allait apparaître ? J'ai obéi. Malgré ma vie, contre ma vie, j'ai fait ce geste monstrueux de pousser ma vie sous les balles, et de l'y maintenir, pendant que mon revolver me cognait le poignet. Il n'y a que nous, que nous : ceux qui sont morts ; ceux qui étaient parmi les morts et qui ont eu, comme eux, le courage de mourir(13). »

    (1) Les Éparges, p. 537.
    (2) Sous Verdun, p. 14.
    (3) Extrait de La Mort de près, Almanach du Combattant, 1974, p. 9-10.
    (4) Sous Verdun, p. 44, texte et notes de l’édition de 1949.
    (5) Trente mille jours, p. 155-156 et Sous Verdun, p. 94-95.
    (6) Paris-Centre, samedi 17 avril 1915.
    (7) Robert Porchon, originaire de Chevilly (Loiret), sous-lieutenant au 106e R.I., est mort le 20 février 1915 ; il était âgé de 21 ans. Son frère Marcel a été tué le 6 avril suivant ; il avait 30 ans et il était novice dans l’Ordre des Bénédictins, cf. Paris-Centre, dimanche 25 avril 1915. Robert Porchon est enterré dans le cimetière militaire des Éparges.
    (8) Les Ēparges, p. 644.
    (9) Les Éparges, p. 672.
    (10) Trente mille jours, p. 156.
    (11) Charles Legrand n'a pas pu voir la réalisation de ses plans, car il est mort dans un accident de voiture dix jours après l'ouverture du chantier. Cf. Almanach du Combattant 1978-1979, p. 44-52.
    (12) Trente mille jours, p. 161.
    (13) Les Éparges, p 625-626

De cette terrible épreuve naît une œuvre considérée aujourd’hui comme un des plus grands témoignages de la Première Guerre Mondiale: Ceux de 14, composé de cinq volumes:

  • Sous Verdun (1916)
  • Nuits de guerre (1917)
  • Au seuil des guitounes (1918)
  • La Boue (1921)
  • Les Éparges (1923), inspiré de la bataille pendant laquelle il est très grièvement blessé de trois balles le 25 avril 1915. Il sera réformé avec un taux d'invalidité de 70% pour avoir perdu l'usage de la main gauche.

L'après-guerre

Puis, la paix revenue, son œuvre change de direction et de sujet pour se consacrer avant tout à la description de la nature - paysages, champs et forêts - et de la vie des habitants de son Val de Loire natal.

Ses oeuvres

Parmi ses ouvrages les plus célèbres, on peut citer Raboliot, pour lequel il reçoit le prix Goncourt en 1925, l’Assassin (1932), La Dernière Harde (1938), L’Hirondelle qui fit le printemps (1941), Routes de l’aventure (1959), La Loire, Agnès et les garçons (1962), Derrière les collines (1963), Beau Français (1965), La Forêt perdue (1967), Tendre bestiaire (1969), Un jour (1976), Loreleï (1978), Trente mille jours (1980), etc

Il a été élu à l’Académie Française en 1946, en est devenu Secrétaire Perpétuel en octobre 1958 et a rompu à la tradition qui veut, à l'instar des papes, qu'on ne démissionne pas. Il reprend sa liberté en janvier 1974 pour écrire... encore.

Timbre émis en 1990 pour le centenaire de sa naissance

La cité scolaire de Decize porte son nom désormais.

--Patrick Raynal 24 novembre 2013 à 10:23 (CET)
Complété par des textes de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/
mis en page par --Mnoel 13 août 2014 à 15:36 (CEST)

Comment lui rendre hommage ?

Les personnalités locales attachées à Maurice Genevoix sont d’accord sur le principe de rendre hommage à l’écrivain soldat né à Decize. Statue, buste, fresque… Une réflexion est engagée dans sa ville natale pour savoir comment lui rendre hommage, en cette année de centenaire de la Grande Guerre.

Aujourd'hui, Maurice Genevoix, à Decize, c'est une plaque sur sa maison natale, avenue du 14-Juillet, et le nom de la cité scolaire, route d'Avril.

De retour du voyage des lycéens à Verdun en mars dernier, dans le cadre du Centenaire de la Guerre 14-18, le professeur de Français qui les accompagnaient a suggéré l'idée d'ériger une statue ou un buste à sa mémoire. « Les commémorations de la Première Guerre mondiale pourraient être l'occasion d'une juste reconnaissance rendue à ce « jeune homme » né à Decize et lancé dans la tourmente des effroyables années de guerre. Toute sa vie, il a écrit pour témoigner, pour transmettre la mémoire, pour qu'on n'oublie jamais. »

Aux Halles, sur le mur du lycée...
Pour ce professeur de Français, l'idée serait d'amener Maurice Genevoix dans la ville, dans un lieu stratégique : « Je ne pense pas que la cité scolaire soit un site judicieux car elle porte déjà son nom. Pourquoi pas dans un lieu symbolique à Decize, comme la promenade des Halles, les remparts… »

Interrogées sur le sujet, d'autres personnalités locales sont plutôt d'accord sur le principe, mais leurs choix ne se portent pas forcément sur une statue.

L'une d'elle verrait davantage « son profil, en peinture, sur une façade : sur le mur de sa maison natale, avec l'accord des propriétaires bien sûr, ou au lycée qui porte son nom ».

Une fresque apparaît également plus appropriée à une autre, car « avec la statue se poserait la question de savoir où la mettre. Place de la mairie, il y a déjà celle de Guy-Coquille et place de l'ancienne fontaine, le buste de Saint-Just. De plus, une statue coûte relativement cher [...]. »

Une autre enfin, pense qu'ériger une statue est une affaire délicate, « car il faut vraiment que ce soit ressemblant. Il faut trouver un sculpteur de qualité. De plus, ce genre de projet est assez coûteux. Peut-être qu'un portrait placé à la cité Maurice-Genevoix serait plus approprié. »

Une statue… aux Éparges.
En attendant, un « bel hommage » sera déjà rendu à Maurice Genevoix avec l'exposition qui devrait se tenir à Decize, en octobre ou novembre 2014, dans le cadre du centenaire de la Guerre.

« Son petit-fils, Julien Larere-Genevoix, a également exprimé son intention de venir à Decize pour faire une conférence sur ce soldat et écrivain. D'autre part, une statue de Maurice Genevoix sera inaugurée en avril 2014 au site des Éparges(1). »

Si, aujourd'hui, tous sont disposés à rendre hommage à Maurice-Genevoix, il restera encore à définir comment. De son côté, le maire de la cité decizoise, « trouve l'idée très intéressante de vouloir identifier davantage Decize à Maurice Genevoix. La municipalité est prête à accompagner financièrement ce genre d'initiative. »

(1) Lieu de mémoire, dans la Meuse, où Maurice Genevoix a été blessé.


Source : D'après l'article de Estelle Pion, Journal du Centre du 8 avril 2014