Duels

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1651 - Un duel à Poiseux sous Louis XIV

  • Malgré les édits, la fureur du duel sévissait encore au milieu du dix-septième siècle, et le drame que nous allons relater est un véritable combat à outrance, quatre contre quatre, entre des seigneurs de la première noblesse du Nivernais ; deux furent tués et deux furent blessés. Ces huit champions ont encore, pour la plupart, des descendants dans notre pays.
  • Une jeune dame fut cause de cette lutte furieuse, mais l'origine de la querelle n'avait rien de romanesque Madeleine des Prez, fille du seigneur de Chaillant et Poissons, avait épousé en 1645 Eustache du Lys, baron de Poiseux, et, restée veuve sept mois après, elle contracta une nouvelle alliance en 1647 avec un jeune gentilhomme du voisinage, Adrien de Chéry, seigneur de Montgazon et Grenant, capitaine de chevau-légers du roi. Un douaire avait été stipulé dans le premier contrat de mariage de Madeleine, et lorsqu'il fallut désigner une terre pour son affectation, des contestations survinrent, la famille du Lys résista aux prétentions de son ancienne alliée, et après des procédures au bailliage de Saint Pierre le Moûtier, un arrêt du Parlement de Paris affecta Poiseux au douaire de Madeleine des Prez.
  • Cette terre et baronnie de Poiseux était advenue à Eustache du Lys en 1643, à la mort de son grand-oncle l'évêque Eustache du Lys, qui avait occupé le siège épiscopal de Nevers durant trente-sept ans, après avoir été, dans sa jeunesse, homme d'armes du comte ; il l'avait achetée en 1624, et avait stipulé dans son testament qu'en cas de décès d'Eustache sans enfants, elle passerait à son autre petit-neveu Louis du Lys, seigneur de Jailly. L'arrêt de la cour privait celui-ci de la jouissance de cette substitution ; il l'attribua aux influences de caste des parents de Madeleine des Prez, dont la mère, Félice Gascoing, appartenait à une famille de robe et était alors remariée à Philibert de Vaux, président en l'élection de Nevers. Chacune des deux familles prit fait et cause ; des épigrammes, on passa aux propos outrageants, puis à des défis dont la solution naturelle entre gens d'une fierté chatouilleuse fut la résolution d'un combat où l'on ferait revivre la mode déjà surannée des tenants ou champions.
  • Les édits les plus rigoureux de Richelieu n'avaient pu éteindre la passion du duel chez les gentils-hommes portant les armes ; les mœurs n'avaient pu être vaincues par les supplices, et il fallut tout l'ascendant moral de Louis XIV sur sa noblesse militaire pour arrêter cette frénésie.
  • Le duel pour questions d'honneur était un reste du plaid de l'épée, placitum ensis des temps barbares, dont on se servait, non-seulement pour aplanir les affaires judiciaires, mais même pour décider des points abstraits de jurisprudence ou de théologie. Depuis Saint Louis, le duel devait être autorisé par le souverain, et le dernier de cette nature fut celui de Jarnac et La Châtaigneraie, en présence d'Henri II qui, dès-lors, le prohiba sévèrement. Les ordonnances ne firent qu'aviver la fureur du duel ; se battre fut une gloire, et tuer un honneur. Selon le moi de Tavannes, « entre perdre l'honneur en ne le défendant pas, ou perdre la vie par les édits », le choix fut vite fait de la part de ceux qui pensaient avoir à défendre « leur privilège de vaillance ». Le maréchal de Brissac eut l'idée originale de refroidir l'ardeur des bretteurs qui décimait son armée, en permettant de se battre seulement sur un pont entre quatre piques, et à la première blessure, le vaincu était jeté ignominieusement à la rivière. L'histoire ne dit pas quel en fut l'effet, mais ailleurs on continua d'aller sur le pré par mode et besoin d'aventures ; et si l'on se rencontrait plusieurs, les camarades formaient partie liée, servant, non de témoins, mais de tenants.
  • C'est à un combat de cette nature, quatre contre quatre, que nos champions nivernais s'arrêtèrent ; les préliminaires en furent assez longs, car chaque parti dut chercher dans sa famille les meilleurs combattants, tous hommes de guerre ; les armes choisies furent l'épée et le pistolet simultanément, et l'on arriva ainsi, le 15 juin 1651, à une rencontre redoutable, car l'usage voulait qu'on ne s'arrêtât qu'à « mort ou mercy ».
  • Les diverses pièces relatives à ce combat ne nomment avec précision que les deux principaux champions ; leurs tenants ne sont désignés que par leurs noms de terre. Nous allons essayer de rétablir leur identité. Du côté de Louis du Lys, baron de Poiseux, seigneur de Jailly, prenaient place les seigneurs de la Varenne, de Vasnay et de Villemandeur. A cette date, la seigneurie de la Varenne était possédée par les du Verne ; ce doit être Gilles du Verne ou son frère Jean, cousins d'Antoine, seigneur de Jailly, marié à Françoise du Lys. Les seigneurs de Vasnay sont des de Berthier, sans doute Jean de Berthier, fils d'autre Jean et d'Anne de Mullot ; ils étaient parents des du Lys par les de Grossouvre. Il n'existe pas en Nivernais de lieu appelé Villemandeur ; cependant, pour rendre un service où il y va de la vie, il faut un attachement exceptionnel, tel que celui de famille, et après avoir révisé toutes les alliances du Lys, nous pensons que ce troisième tenant, désigné dans une pièce comme commandeur de Malte, était un de Saint-Phalle ; en effet, Pierre du Lys, maréchal-des-logis du maréchal de Bourdillon, avait épousé Élie de Saint-Phalle, fille de Richard et de Jeanne Le Fort, dame de Villemandeur.
  • Du côté d'Adrien de Chéry, seigneur de Chaillant, se trouvaient Louis, son frère, seigneur de Montgazon, lieutenant de cavalerie au régiment de Créquy ; le seigneur de Giverdy, qui doit être François de Charry, capitaine au régiment de Bourgogne, mari de Jeanne du Verne, et dont l'oncle, Paul de Charry, seigneur de Lurcy-Ie-Bourg, avait épousé une de Chéry ; enfin le dernier tenant d'Adrien de Chéry est, par dérogation aux usages du duel entre gentils-hommes, le sieur Olivier, son valet de chambre, qui a servi dans les armées de Sa Majesté.
  • Le lieu de rendez-vous était le champ de Couchotte, près Poiseux : on mit « pourpoinct bas », et le combat s'engagea à outrance et par quatre couples. Nous n'en connaissons pas les péripéties ; nous savons seulement que Louis de Chéry fut tué par M. du Verne et Louis du Lys par Adrien de Chéry, et qu'il y eut deux blessés, dont un grièvement, M. de Berthier. Adrien donne l'explication suivante dans sa requête en grâce royale : il était parvenu à avoir l'avantage sur son adversaire Louis du Lys, auteur de l'« appel », et l'avait désarmé ; il allait lui laisser la vie sauve, lorsqu'il vit son frère étendu mort près de lui, et dans le premier moment de sa douleur, il lui fracassa la tête d'un coup de pistolet.
  • Ce combat produisit grand émoi, et ne fut peut-être pas étranger à la nouvelle ordonnance contre les duels rendue au mois de septembre suivant. Louis de Chéry était célibataire, mais Louis du Lys laissait une veuve, Angélique du Deffand, et deux petites filles ; en lui s'éteignait la famille du Lys, originaire de Touraine, et établie en Nivernais à la fin du quinzième siècle, par suite du mariage avec Jeanne de Rymbert, fille du seigneur de Sichamps ; elle avait donné un écuyer de Louis XI, un conseiller maître d'hôtel de la reine de Navarre, un capitaine d'homme d'armes des ordonnances, un gentilhomme de la chambre du roi, un bailli d'épée de Nivernais et un évêque de Nevers, et elle avait possédé les seigneuries de Sichamps, Choulot, Montifaut, le Peschin, Grenant, Poiseux, Jailly et Champmorot.
  • Dès le 30 juin, Louis XIV prononçait la confiscation des biens ayant appartenu aux sieurs de Chéry, de Giverdy, du Lys, de La Varenne, de Vasnay et autres leurs complices dans le duel du 15 précédent, et il en faisait donation au marquis de Saint-André Montbrun, son lieutenant-général de la province de Nivernais, en récompense de ses services, notamment aux armées d'Italie. Alexandre du Puy-Montbrun était un ancien chef protestant réconcilié avec le régime actuel, et qui, après avoir vaillamment combattu les Turcs pour la république de Venise, vint mourir à son château de La Nocle, en Nivernais.
  • Les influences rivales des deux familles allaient être mises en jeu ; Charles de Chéry, seigneur de Neuvy et d'Oulon, arrivait précipitamment de l'armée de Catalogne, tandis que Eustache de Chéry, évêque de Nevers, conseiller du roi en ses conseils, et oncle d'Adrien, ne devait pas rester inactif. Néanmoins, la jeune veuve du Lys, qui était accouchée d'un fils posthume mort-né, obtenait enfin en 1652 un décret de prise de corps contre Adrien de Chéry qui fut emprisonné à la Conciergerie du Parlement de Paris.
  • Le 27 juillet 1656, Louis XIV, moins rigoureux que son père, qui jura « de ne donner aucune grâce des duels », accorda au prisonnier des lettres de rémission ; elles rappellent ses services en Italie sous le maréchal de La Meilleraye, et lors de leur entérinement, en 1658, elles motivèrent un arrêt de la cour condamnant néanmoins Adrien à 200 livres parisis pour les prisonniers de la Conciergerie, et 16 livres pour des messes pour le repos de l'âme de Louis du Lys.
  • Entre temps, Mgr de Chéry, riche prélat, avait obtenu d'Alexandre du Puy-Montbrun une cession de tous les biens qui avaient fait l'objet de la confiscation ; et à la mort de l'évêque, son neveu Adrien se trouva seigneur de Chaillant, Poissons, Grenant, Rigny, la Cave et Montgazon. L'événement de ce duel n'eut pas pour cette famille des conséquences aussi funestes que pour celle de du Lys ; elle subsista avec honneur et opulence en Nivernais, et le nom de Chéry ne s'éteignit qu'au moment de la Révolution, en la personne de Guillaume Robert, ne laissant qu'une fille, la comtesse de La Rochefoucault, mère de la comtesse de Montrichard.

    Ad. de Villenaut.
    Gallica. Bulletin de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts 1890 (SER, T3 = T13)

1873 - Un duel à Lucenay-les-Aix

  • Le 22 novembre 1873, la Cour d'Assises de la Nièvre condamne à quatre ans de prison un jeune homme de 27 ans, Jacques Bernard, devenu violent à la suite de frustrations sexuelles.
  • Jacques Bernard est domicilié à Nevers ; scieur de long sur une coupe de bois près de Lucenay, il s'est présenté, dans la nuit du 12 au 13 octobre à la porte d'une fille mal famée (dont l'identité restera inconnue lors du procès). Elle refuse de lui ouvrir.
  • Bernard se sent frustré. Il invective la jeune femme puis, d'un coup d'épaule, il défonce la porte. Alors, la fille s'échappe de son domicile et se réfugie chez un voisin, un homme âgé de 70 ans qui est adjoint au maire. Ce dernier va vite chercher le garde-champêtre ; ils reviennent, escortés de quatre habitants du village et s'apprêtent à arrêter Jacques Bernard. Pour commander cette escouade, l'adjoint au maire s'est armé d'une épée.
  • De retour devant sa maison, l'adjoint constate que Bernard, devenu fou furieux, bombarde les carreaux de pierres et d'objets divers. L'épée à la main, l'adjoint fond sur le forcené, en criant : « Si tu avances, je t'enfile comme une limace » ; un forcené qui est armé, lui aussi, d'un couteau-poignard, et qui répond : « Je t'em..., toi et toutes les autorités ! » Le choc entre les deux escrimeurs est violent. L'adjoint roule sur le sol. Quand il se relève, le garde-champêtre et ses aides ont maîtrisé Bernard, mais l'adjoint est blessé au bras et perd son sang en abondance.

Le Journal de la Nièvre, 22 novembre 1873.