Breton Gabriel correspondances de juillet 1916 à septembre 1916

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Guerre 1914-1918 57.jpg

Anniversaire, nouvelles du 56e.

Le dimanche 16 [juillet 1916, lettre postée à Chalon].

Ma chère Maman,
J'ai reçu vos lettres pour ma fête et je veux dire pour mes 26 ans ; espérons que les prochaines se fêteront à la maison. J'ai reçu aussi les habits, ils vont bien ; du reste je pense avoir au moins deux jours vers la fin du mois et je passerai voir Duchemin s'il avait à rectifier ; je me suis acheté un képi mais j'avais demandé un peu d'étoffe pour en faire faire un et Duchemin aura oublié.
Nous avons fêté le 14 juillet avec assez d'embarras et je pense pourtant que ce n'est pas encore le moment de faire des histoires, mais je crois surtout que nous avons besoin d'argent pour faciliter le prochain emprunt ou tâcher d'émouvoir les gens et de libérer quelques villages. Cependant la classe 17 va partir en partie et dans quelques semaines ils seront aux tranchées ; puis nous allons dresser nos récupérés ; je pense avoir trois mois de bon avec eux parce que je pense que l'on ne peut songer à nous déplacer avant que notre mission soit terminée.
Tous nos soldats du 56 ont quitté le Bois d'Ailly et sont quelque part en Lorraine, à ce que l'on dit(1). Je ne sais pas ce que l'on vient faire de ce côté-là en ce moment.
Les Anglais avancent dans la Somme mais je pense que cela doit coûter cher pour eux et qu'ils doivent avoir beaucoup de casse. Je me demande si nous allons encore passer un hiver mais ça se pourrait bien.
Je ne sais pas si nous resterons à Chalon ou si nous irons au Bourgneuf ; nous avons passé deux jours dans la montagne à manœuvrer avec la classe 17, ils ne sont pas trop mauvais, mais ils sont jeunes.
Reçu une carte de la vieille Marie, mais j'ai aussi des nouvelles du chien et du chat, tout va bien.
Je suis installé très bien à Chalon mais tout est terriblement cher et ma solde ne peut que suffire à me payer ma pension et ma chambre bien juste ; je te demanderai de m'envoyer régulièrement 100 F tous les quinze jours ; c'est idiot de nous donner 400 F sur le front et la moitié ici, quand c'est l'inverse qui devrait se produire.
Mon commandant Fischer ne va pas très fort, il est malade et le cœur ne fonctionne pas très bien ; je [ne] crois pas qu'il aille bien loin.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux. G. Breton.

Le mercredi 26 [juillet 1916]

Ma chère Maman,
Je viens de recevoir un mot où tu me fais honte de ma flemme ; il est vrai qu'il fait chaud et que je ne suis pas courageux de ce temps-ci, mais je pense bien que Guite a reçu celle où je lui souhaitais sa fête.
Notre cours est un peu prolongé vu que les récupérés n'arrivent que le 11 et le 21. Cela ne nous fera commencer rien de sérieux avant les premiers jours de septembre. Je compte que le cours finira dans sept à huit jours ; en tous cas je pense pouvoir aller vous voir avant le dix août.
À part cela rien de neuf, il me paraît certain que nous passerons encore un hiver, ça ne va pas vite et chaque pas coûte bien cher ; enfin il faut espérer que les Boches finiront par crever de faim si on ne peut les avoir autrement.
Je vais quelques fois à la pêche, mais la Saône ne vaut pas les Vernes sur l'Abron et il n'y a pas assez d'arbres, ce qui fait que l'on y rôtit tout à son aise.
Mon vieux commandant Fischer se traîne péniblement ; la chaleur le fatigue ; je ne sais pas trop s'il va durer longtemps.
Je vous ai déjà dit que mon habit allait bien, mais en ce moment je suis plus souvent en blanc et en képi qu'autrement.
Rien de neuf ici et pas de nouvelles sensationnelles. On ne se croirait guère en guerre sans quelques vêtements noirs par ci, par là, toujours facile dans les rues et les rumeurs les plus extraordinaires circulent.
À bientôt, je pense, et mes meilleurs baisers. G. Breton.

Lundi 14 [août 1916].

Fleury
Ma chère Maman,
Rien de nouveau dans notre patelin, sauf l'arrivée de nos récupérés qui se poursuit. J'ai eu la lettre de Guite avant la tienne ; tous les jeunes Decizois sont arrivés mais je les ai fait mettre dans la compagnie n° 3 parce que ce ne sont pas des gens très costauds et que j'aurais peur de leur faire du mal, ce qui serait très ennuyeux.
Nous avons hélas des nouvelles de notre 56 qui a attaqué Fleury et Thiaucourt, 1400 hommes, 38 officiers, tous mes camarades qui restaient sont tués ! Commandant Gaudry, capitaine Burteaud, Thévenet, Daniel et une masse de lieutenants et sous-lieutenants. Le vieux 56 a vécu dans les ruines de Fleury. En même temps qu'eux attaquait le 3e, 5e ancien ; heureusement que notre meunier n'était pas là-dedans !
Heureusement que les Russes avancent un peu, mais nous, nous ne pouvons pas, nous ne pourrons jamais percer ; je suis certain de cela depuis de longs mois, malheureusement il y a trop d'imbéciles qui pensent le contraire ; que dit de tout cela le sénateur ? Il est fini, du reste il ne se rend jamais compte. Maintenant toute la presse entonne l'air que nous accrochons les Boches et que nous maintenons 129 divisions sur notre front, ce qui ferait 65 corps d'armée. Mais à part une 40e division active, tout le reste est de la Landwehr ou de la Landsturm(1), ce qui correspond à nos R.I.T. ; nous faisons garder le Bois Brûlé par les territoriaux, eux font la même chose, de sorte qu'il n'y a qu'aux secteurs d'attaque que l'on retrouve les mêmes régiments.
Ça peut durer longtemps ainsi.
Enfin voici l'offensive qui approche ; cette fois ce sera pour le printemps avec nos récupérés. Seulement les Boches viennent de lever 150000 mineurs de Westphalie qui seront de meilleurs soldats que nos rachitiques. Ce qui me console c'est qu'ils doivent crever de faim, mais ce sera encore long et dur.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux. Serai-je invité au mariage de Jacques ?
Gabriel.

Le 15.

Ma chère Maman,
Le vent souffle au départ, mais je crois pouvoir être tranquille quelque temps encore, car je ne suis pas encore le premier, il s'en faut, à partir. Personne n'est encore parti mais tous les jours on s'attend à quelque chose. Dès que je verrai les premiers départs, je vous ferai venir à Chalon ou au Bourgneuf, si je ne peux aller à Decize. En tous cas, je ne me fais pas de bile dans mon petit coin et fais le plus de zèle possible avec mes petits de la classe 16 qui me restent. Peut-être partirai-je avec eux, ce que j'aimerais autant pour former un bataillon de marche quelque part. Je vous écrirai demain de plus grandes explications et surtout dès que je serai fixé sur ce que l'on mitonne en ce moment. Je suis tout de même plus heureux que les pauvres bougres de devant Verdun et c'est l'essentiel.
Ma chère maman, je vous embrasse bien fort.
[…] Tout mon bon souvenir aux amis et connaissances et au colonel si vous le voyez.
Bons gros baisers.
Gabriel.

Le 30 août 1916.

Ma chère Maman,
Nous sommes dans la jubilation d'apprendre enfin que la Roumanie vient de déclarer la guerre et que la Bulgarie et les Autrichiens vont finalement prendre pour leur rhume tout ce qu'ils pourront ; c'est parfait et je crois que cela va bien abréger la guerre d'au moins 6 mois. Ici je continue d'instruire mes récupérés du mieux que je peux, ils ne sont pas trop mauvais et j'espère bien que nous arriverons à en faire quelque chose ; je suis toujours bien tranquille, mais le commandant Fischer, lui, s'en va et je ne sais pas encore qui va le remplacer ; en tous cas c'est bien ennuyeux car nous étions bien tranquilles avec lui ; enfin il ne faut pas désespérer d'avance et nous finirons peut-être par en avoir un aussi bon.
Je tâcherai de venir un dimanche, mais je voudrais pouvoir tirer un lapin, c'est pourquoi je préfère attendre encore un peu que les battues soient autorisées.
Rien reçu de Jacques et ne viendrai que s'il m'invite officiellement, je ne veux pas me déranger autrement.
Que fait Guite à ce sujet ? Veut-elle se décider à aller y passer deux jours ? En ce cas, peut-être ira-t-elle par Chalon !
Je vous embrasse bien fort toutes deux.
G. Breton.

Dans l’attente d’une permission.

Gabriel Breton en permission

Le 2 septembre [1916].

Ma chère Maman,
J'ai bien reçu le poulet, le raisin et les poires, ce dont... Cela me rappelle le jardin et les volailles des bons fermiers. Depuis huit jours j'ai un cafard épouvantable parce que c'est le temps de la chasse et que chaque matin, quand je vais à l'exercice, le temps est exactement pareil au temps de l'ouverture de la chasse ; alors quand je suis dans les champs, il me semble que je suis à Baunay avec mon Scaff et que les perdrix vont s'envoler dans mes jambes.
Pourtant ce soir les nouvelles sont très bonnes ; voilà la Grèce qui, elle aussi, va marcher ; en tous cas c'est sûrement la révolution chez eux, c'est bien fait, ils n'ont que ce qu'ils méritent(3). Les Roumains marchent et les Russes ont repris l'offensive.
Nous, de notre côté, nous ne tarderons pas non plus, je pense, à donner un coup ; je pense que cette fois les Boches vont avoir à faire. Mes récupérés vont bien et je n'en suis pas trop mécontent ; enfin au début, ils font toujours tant qu'ils peuvent, c'est plus tard que c'est pénible.
Je viens de voir sur les journaux que l'on va chasser en battue et que l'on chassera les lapins avec un permis ; je pense que je pourrai y aller quand je viendrai en permission, mais je ne veux pas donner de permission pour chasser parce qu'il n'y a pas à détruire tant que cela.
Envoie-moi 100 F dans le courant de la semaine.
Je t'embrasse bien fort ainsi que ma chère sœur.
Gabriel.
Avez-vous des nouvelles du mariage de mon cousin ? Je ne sais pas ce que je pourrai faire parce que nous allons changer de commandant de dépôt et alors je ne sais pas ce que ça sera pour les permissions.
Gabriel.

Vendredi [aucune date précise].

Ma chère Guite,
Je sais que je vais sûrement avoir une permission vers le 15 probablement de 4 ou 6 jours, que je passerai à chasser naturellement. Je viendrai probablement le mercredi 18 pour repartir le dimanche 22. Car si on ne peut avoir que deux jours pour chasser en battue le lièvre et le faisan, je prendrai le jeudi 19 et le dimanche 22 naturellement. Je pense que je pourrai avoir le droit de chasser le lapin tous les jours. Il faut donc que tu demandes d'urgence au maire d'Avril le certificat prévu pour l'envoyer à la préfecture avec explication que ton frère vient en permission à cette date et qu'il y a besoin de faire des battues aux lièvres et faisans et lapins, que tu demandes deux jours, les 19 et 22 pour les faisans et lièvres et une permission pour tous les jours de chasser les lapins jusqu'au 25 par exemple, et que tu demandes la permission pour tous les autres jeudis et dimanches pour le lapin, ceci quand j'aurai d'autres permissions.
Maintenant s'il me faut un permis, il faut me le prendre. Maman peut faire la demande comme si c'était pour moi, ça ne fait rien, mais il faut te renseigner pour les gens qui viendront avec moi pour faisans et lièvres ce serait naturellement MM. Loiseau, Guillaumain et Turin, mon capitaine Burteaud du 56 et M. Roblin.
Enfin, fais pour le mieux, prépare tout et je te confirmerai les deux jours dimanche ou lundi, mais ce sera sûrement autour du 20.
Avez-vous vu Marie et vous a-t-elle raconté son voyage en Suisse ?
Dis-moi aussi ce qui me reste des cartouches et si j'ai les douilles.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux.
G. Breton.

Réunion des officiers. Chalon-sur-Saône.
[Lettre postée le 8 septembre 1916].

Ma chère Maman,
Je viens de recevoir une lettre de Jacques qui m'invite pour le jeudi 21 à ses noces. Je ne sais pas encore ce que je vais pouvoir faire, nous venons en effet de changer de commandant de dépôt et le nouveau est très strict sur la discipline, les permissions et le reste ; par conséquent je vais voir ce que je peux faire et ne peux m'engager pour le moment.
Avez-vous l'intention d'aller au mariage ? Que pensez-vous faire ? Moi, je ne peux rien dire mais vous, vous pouvez déjà mieux vous rendre compte de ce que vous voulez faire. Mon oncle et ma tante sont-ils toujours à Teinte ?
Maintenant si Jacques et sa femme viennent, peut-être pourrai-je aller vous voir un dimanche mais tout cela est très problématique.
Nous travaillons ferme avec nos jeunes ; on parle aussi d'une visite générale des ajournés et réformés ; ça, ça serait drôle de voir mon cousin repartir dans l'infanterie deux mois après son mariage ; enfin ça ne serait que justice. Avez-vous des nouvelles de Prosper ? Sûrement il ne pourra venir car il doit être en pleine bataille.
Je n'ai rien reçu de vous ces jours-ci. Je pense que tout va bien à la maison ; ici il fait très mauvais et la Saône déborde encore, on ne peut guère songer à aller à la pêche.
Envoyez-moi 100 F si vous ne l'avez fait car je n'ai plus grand chose.
Je vous embrasse bien fort toutes deux. Peut-être viendrez-vous à Chalon si vous allez à la noce. Enfin écrivez-moi là-dessus.
G. Breton.

10 septembre 1916.

Ma chère Maman,
Un de mes petits poilus partant en permission agricole veut bien porter ce petit mot à la maison. J'irai vous voir un dimanche et je chasserai quel que soit le temps à Mussy ; je viendrai probablement seul et chasserai id. Assurez-vous d'une voiture pour moi pour dimanche ; je voudrais partir de bon matin vers 7 h moins le quart pour tâcher de tuer un canard. Si je ne peux avoir une voiture de maître, j'irai à pied ; dans ce cas vous donnerez à la mère Marchand vendredi du vin dont une bouteille de bon et lui direz de me garder beurre et œufs pour l'omelette, habit de rechange aussi.
J'ai écrit à Marie. Je pense qu'elle m'enverra un mot. Rien de nouveau, il pleut et il neige ici et tous mes hommes repartent en permission, il ne faut que cela du reste.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux.
Gabriel Breton.

(1) Du 21 juin au 15 juillet, le 56e R.I. est au repos au camp de Saffrais. Ensuite, il est transporté à Verdun. Il occupe le fort de Souville et attaque Fleury.
(2) Dans l'armée allemande de 1914-1918, la Landwehr correspond à l'armée de réserve (soldats entre 25 et 39 ans) ; la Landsturm rassemble les troupes territoriales (soldats de 40 à 45 ans).
(3) Depuis le début de la guerre, la Grèce était restée neutre, mais elle avait autorisé les troupes serbes et le contingent français du général Sarrail à se replier à Salonique. Le 16 septembre 1916, le ministre Vénizélos prend position pour l'alliance française, alors que le roi Constantin 1er est plutôt germanophile. C'est le début du schisme national : la Grèce est coupée en deux. Le conflit se dénoue le 11 juin 1917 : le roi abdique en faveur de son fils Alexandre 1er qui se rallie complètement à la Triple Entente.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL