Breton Gabriel correspondances de février 1919

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Guerre 1914-1918 57.jpg

Mardi 11 [février 1919] :

Ma chère maman,
Je suis rentré rejoindre le régiment en Allemagne après un séjour à Bruxelles, Liège et Cologne et, en arrivant, j'ai appris que nous partirions le lendemain matin pour l'Alsace ; vous devez avoir une dépêche vous donnant cette nouvelle. Nous avons embarqué, débarqué, puis réembarqué pour nous déplacer de quelque trois cents kilomètres, 4 jours par -18° dans des wagons pas chauffés et sans ravitaillement, c'est épouvantable et j'ai béni les généraux et les 2 G [not 1] qui nous valent ces mouvements.
Maintenant nous sommes donc à Chimay, petit pays des Ardennes belges, [on] s'est arrêté là parce que la ligne de chemin de fer est cassée, alors on débarque pour réembarquer quelque trente kilomètres plus loin.
Voilà, nous rejoignons nos garnisons de temps de paix, nous allons donc à Abbeville, résidence du 128e R.I. En temps de paix et là nous allons attendre la fin.
Voilà, je pense donc être à Abbeville vers le 20-25, ce n'est pas mal du tout et j'aimerais autant que l'on se débarrasse de nous tout de suite puisque c'est l'anarchie et que l'on saurait à quoi nous employer.
Tout le monde est mécontent ; c'est le résultat des promesses non tenues et puis tout le monde se voit flanquer à la porte sans rien, alors ça ne fait rire personne et je pense que les officiers ressembleront assez aux demi-soldes de 1820 ; ça n'ira pas tout seul et l'agitation est assez considérable en ce moment.
Nous sommes un peu moins bien considérés que les balayeurs des rues de Paris ou les employés du métro.
Voilà pour le présent ; espérons que la saison prochaine calmera tout cela, mais j'en doute.
Changement de région et de D.I. Je change de secteur postal qui devient le 118 (128e R.I., secteur postal 118).
Il fait un froid terrible dans le pays des Ardennes belges, -18, -20, -22°. On gèle toute la sainte journée, je suis malade comme une bête de rhume de cerveau et de mal à la tête... Ravitaillement nul, impossible, prix, inutile d'insister, les pommes de terre se payant 2 F le kilo. L'œuf vaut plus que la poule qui le pond. Enfin, tout cela va passer parce que, dans huit jours, je pense bien être cette fois en France et avoir la Paix !!
Que fabrique Hahn ? Fait-il toujours du side-car ? N'est-il pas rentré en miettes ? A-t-il été à la chasse aux canards ? Il doit y en avoir plein.
Bons baisers.
G. Breton.

15 février 1919 :

Chimay, la poste prise de la place du Chapitre
Ma chère maman,
Nous sommes enterrés dans ce joli petit pays de Chimay. C'est loin de valoir l'Allemagne. Nous pensons pouvoir très rapidement aller en France, mais rien ne marche, ni les trains, ni les wagons, ni rien ; nous avons juste un train par jour pour écouler notre D.I., ce qui fait que nous ne partons d'ici que le 9 ou le 10 mars, nous partons les derniers.
De là nous allons à Falaise, petit pays très abîmé dans la région de Villers-Cotterêts, nous y allons pour reconstruire ? Je ne sais pas trop ce que nous y ferons de bien. Aujourd'hui je vais faire une demande pour l'armée polonaise, 1200 F par mois, c'est très très intéressant mais, comme pour tout, il faut du piston ; je vais voir encore l'oncle, un rien suffirait pour cela. Et ça me permettrait d'attendre la fin des beaux jours et Moulins pour reprendre cela à mon compte.
Toutes ces questions de démobilisation nous embêtent beaucoup, parce que personne ne sait quoi faire après cette guerre et puis l'on sent fort bien que tout va on ne peut plus mal selon rien de bien gai. Je n'ai pas encore de vos nouvelles, maintenant vous devez avoir ma lettre de l'autre jour où je vous ai donné quelques détails sur le départ de l'Allemagne et ma nouvelle résidence.
Hier, j'ai été à une grande chasse aux sangliers. J'en ai blessé un très très gros, mais nous n'avons pu le prendre parce que nous n'avons pas de chiens, rien que des soldats pour faire la traque. Nous nous sommes bien amusés.
Aujourd'hui, dégel sur toute la ligne. On patauge dans la boue.
J'attends de vos nouvelles et je vous embrasse bien fort.
Gabriel.

Source

Notes et références

Notes

  1. G.G. = Georges Clémenceau ?

References