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Du pacifisme à la plainte d'un père affligé

  • La Tribune publie le 9 juin une lettre de Gabriel Bonnin, conseiller municipal socialiste de Decize et redoutable polémiste.
« Monsieur le rédacteur. Mon fils Bonnin Maximilien, soldat de la classe 1915, est tombé sur les champs de bataille, victime de cette guerre affreuse qui ensanglante l'Europe.
Savez-vous comment j'ai appris sa mort ?
La femme d'un enfant assisté que nous avons élevé chez mon père, est allée, jeudi dernier, toucher à la mairie de Decize son allocation. M. le secrétaire de mairie, avec le tact qui caractérise tous ceux dont ce monsieur est le subalterne, a dit à cette personne : « Allez dire à Bonnin que son garçon est mort. » »
  • Avant le déclenchement du conflit, le courant pacifiste et antimilitariste était représenté à Decize par plusieurs élus locaux socialistes. En juin 1913, alors que l'Assemblée Nationale débat de la loi des trois ans(1), des affiches antimilitaristes sont découvertes sur plusieurs murs de la ville.
    Un débat virulent oppose, lors de la séance du conseil municipal du 8 juin, MM. Gaillard et Bonnin d'une part, le maire et les autres conseillers d'autre part. M. Gaillard adresse au maire des paroles sibyllines, qui sont interprétées comme des outrages : « À la veille de l'ouverture de la pêche, une casserole de plus pourra être utilisée(2). »
  • Trois semaines plus tard, au cours d'une autre séance, M. Bonnin reproche au docteur Régnier de l'avoir dénoncé à la Préfecture. Il lui dit : « Vous êtes une casserole et un mouchard ! » M. Gaillard, plus calme, revient sur sa déclaration du 8 juin et nie avoir employé le terme de casserole(3).
  • En août 1914, les querelles se taisent : l'union sacrée regroupe toutes les forces politiques derrière le maire de Decize. MM. Bonnin et Gaillard abandonnent leurs illusions pacifistes devant le danger de l'invasion allemande ; le premier a deux fils sous les drapeaux, le second est mobilisé.
    Quelque temps plus tard, les deux anciens pacifistes sont frappés.
  • Le 16 juillet 1916, M. Demnard « engage le conseil municipal à adresser à M. Bonnin ses regrets et ses vives condoléances pour le sacrifice cruel de son fils au salut de la patrie. » L'élu local veut sans doute répondre à l'article paru l'année précédente.
  • Quant à André Gaillard, il revient du front très gravement malade et il meurt en juin 1917.

Gabriel Bonnin, Voyage au pays des morts et soutien aux familles d'anciens combattants.

Cimetière militaire de Verdun
  • L'ancien pacifiste Gabriel Bonnin, après avoir perdu un fils à la guerre, raconte son pèlerinage sur le front, à Reims et dans l'Aisne. L'horreur qu'il a entrevue dans les villages en ruines et les cimetières militaires renforce sa détermination et ses options politiques : "Le plus terrible des tremblements de terre n'est pas comparable aux ruines qu'ici a produites la guerre. [...] On découvre des membres épars, certains cadavres ont encore la jugulaire sur le menton. [...] Je me souviendrai toute ma vie du spectacle que j'ai vu et je voudrais vivre des siècles pour rappeler aux générations futures les horreurs de la guerre, nées du militarisme, du cléricalisme, du capitalisme et de l'autocratie bourgeoise...(1)"
  • Les anciens combattants, revenus à la vie civile, rencontrent parfois d'énormes difficultés matérielles. Les ministres, les parlementaires, les généraux leur ont promis des aides, qui n'arrivent que très lentement ; en même temps, ils se trouvent cernés par l'administration fiscale qui leur réclame des arriérés d'impôts. À Saint-Léger-des-Vignes, en septembre 1920, une manifestation s'organise pour soutenir un ancien poilu qui doit mille francs au fisc et qui est menacé de saisie. Deux mois plus tard, à l'occasion de l'anniversaire de l'armistice, le socialiste Thavard proteste avec véhémence contre la saisie des biens d'un ancien combattant machinois : celui-ci doit payer 5500 francs d'impôts parce que, pendant son absence, son épouse a tenu un petit commerce légal d'épicerie ; la vente des objets saisis n'a rapporté que 187 francs... ; l'administration est loin de récupérer ce qu'elle espérait et une famille se trouve ruinée.
  • Bonnin est révolté par l'infortune de Mme R. M... ; cette mère de famille a élevé six enfants, dont les deux aînés sont tombés au champ d'honneur ; son mari, gravement accidenté, a dû interrompre son travail pendant plusieurs mois ; le maire de Decize a rejeté la demande d'aide car, au moment où il l'a examinée, le blessé pouvait reprendre son travail. Une seconde affaire concerne la famille Vanko, de La Machine ; un fils a été tué au cours de la campagne des Dardanelles ; le père, facteur, est mort subitement, âgé seulement de 52 ans ; les Vanko demeurent sans ressources.
  • La presse de gauche s'émeut pareillement du suicide d'une veuve de guerre machinoise, Mme Amiot, dont le mari avait disparu au front en 1914 ; "elle ne pouvait surmonter son chagrin" et elle laisse quatre enfants en bas âge(2). À Verneuil, c'est un père de famille, âgé de 66 ans, qui se suicide : il a perdu l'un de ses fils à la guerre et son épouse est morte de chagrin.
  • À La Machine, une autre veuve de guerre, Mme Fougère, doit mener de longs procès afin d'obtenir une pension. Son mari, prisonnier des Allemands du 30 août 1914 au 23 décembre 1918, est mort d'une bronchite chronique en décembre 1925 ; ce décès est considéré comme une conséquence directe de sa captivité et il est donc mort pour la France. Mme Fougère s'est ensuite remariée. C'est pourquoi elle a été déboutée de sa demande de pension le 14 janvier 1931, le tribunal ayant estimé que sa nouvelle situation matrimoniale lui permettait de vivre décemment. Avec l'aide du député Jean Locquin, Mme Fougère a fait appel de cette décision. En juillet 1932, la première Chambre de la Cour Régionale des Pensions de Paris lui accorde enfin une pension de veuve de guerre à taux normal(3).
  • Dans un article polémique, Bonnin résume l'enseignement qu'il faut tirer de l'immédiat après-guerre: « Tant qu'il était nécessaire que le peuple fournisse de la chair à canon, du haut de la présidence de la République ou de la présidence du Conseil, du haut de la tribune parlementaire, les porte-parole de la France capitaliste proclamaient à la face du monde l'héroïsme du vieux poilu français et l'élan indomptable de ses jeunes héros de vingt ans qui, sans compter, donnaient sur les champs de carnage leur vie à peine éclose pour sauver l'humanité.
    Les grands discours étaient sublimes de patriotisme et pleins de promesses. La reconnaissance serait éternelle. La récompense égalerait le sacrifice, et la mitraille fauchait, fauchait les innocents.
    Lorsque le vieux poilu lisait la grande presse : l'Action, le Matin, le Temps, etc..., le vieux poilu "se disait" : je peux mourir, je meurs pour l'humanité et l'humanité sera reconnaissante, et ils tombaient, tombaient, laissant des veuves et des orphelins ; aujourd'hui, le canon ne tonne plus, son action homicide est terminée.
    Les crins-crins qui faisaient danser dans l'Alsace reconquise, à Metz, à Strasbourg, nos glorieux officiers et les accortes Alsaciennes ne font plus entendre leurs sons harmonieux ; aujourd'hui la parole n'est plus au canon, elle est à... l'humanité ; les jambes de bois, les bras unicorps, les borgnes, les aveugles, les veuves, les orphelins, les vieux pères et vieilles mères se demandent ce qu'elle fait, l'humanité.
    La grande presse ne parle plus que comme souvenir de l'héroïsme du vieux poilu. A la Chambre des députés comme au Sénat, les grands discours de la reconnaissance ne se font plus entendre ; ils ont fait place aux bas discours d'Harpagon ; à part une trentaine de députés bourgeois, seule la voix des socialistes se fait entendre.
    Lisez, victimes, lisez le Journal officiel et vous verrez ce que vaut la parole d'un bourgeois ; lorsqu'il parle de reconnaissance, 300 francs pour élever un orphelin, pas vingt sous par jour ; et le vieux père et la vieille compagne qui n'ont pas à manger tous les jours à leur faim pour que leurs enfants mangent leur suffisance, ce sont bien eux qui ont peiné pendant vingt ans pour fournir cette chair à mitraille qui a donné la victoire à l'humanité sur la barbarie.
    Ces vieux, on les récompensera lorsqu'ils seront... morts ; l'humanité bourgeoise leur offrira, pour quinze ans, une place gratuite dans le cimetière du village ; les vieux parents n'ont plus besoin de vivre, leurs fils sont de glorieux morts, eux sont devenus des bouches inutiles, ils ne peuvent plus procréer de chair à canon.
    Les députés et sénateurs bourgeois disent qu'ils discutent la loi des pensions ; je dis, moi, que leurs discussions ressemblent à une foire du Morvan, que le ministre et le sous-ministre des finances sont des maquignons qui discutent le prix des... du sang, veux-je dire, centime par centime ; c'est la reconnaissance qui équivaut au sacrifice. Les victimes s'en souviendront-elles le moment venu ?(4)
     »
  • Lorsque les officiers américains et la municipalité de Decize organisent un bal de charité à l'hôtel de ville, Bonnin éclate une fois de plus :
« Dansez, gens bien, gens chics, dames comme il faut ! Dansez, gens très bien, qui vous croyez l'élite de la société ! Dansez, dames comme il faut ! Dansez à l'Hôtel de Ville ! En bas, dans la rue, des mères, des pères, des veuves et des orphelins pleurent, eux, leurs chers disparus, pendant que vous, vous exécutez des... entrechats(5). »
  • Un même ressentiment, teinté de révolte sociale, saisit le correspondant machinois de L'Écho des Poilus Nivernais. Il a été témoin d'une scène désagréable au cimetière, lors de l'enterrement d'un soldat rapatrié du front. Un monsieur bien habillé a interpellé l'épouse d'un poilu décoré : « Quelle chance, Madame, avez-vous d'avoir un mari qui porte une si belle décoration ; moi, j'en ai gagné une pendant la guerre à la sueur de mon front et je ne la porte pas, je ne fais pas tant d'épates... »
  • Le journaliste a reconnu dans ce faux modeste un profiteur de guerre, « un négociant qui a réalisé une fortune considérable pendant la guerre et il a le courage de se moquer maintenant de ceux qui lui ont fait, malgré eux, gagner cette fortune(6) ! »

Les combats de Steenstraat, les attaques au gaz asphyxiant (ypérite).

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  • Maximilien Bonnin est mort à Steenstraat le 16 mai 1915. Depuis trois semaines, de violents combats se livraient sur cette zone.
  • Nous avons, grâce au commandant Willy Breton (Les Combats de Steenstraat. Ed. Berger), une description particulièrement émouvante, dans sa simplicité, de l'attaque allemande sur le front belge ; elle émane d'un grenadier belge qui se trouvait à Steenstraat même :
« J'étais aux tranchées quand commença l'attaque allemande du 22 avril.
Ma compagnie occupait l'extrémité du secteur tenu par notre armée. Entre le front belge et le front français il existait un intervalle d'environ 200 mètres où s'élevaient une dizaine de maisons du hameau de Steenstraat, notamment une petite brasserie où nous avions installé un poste d'écoute. Nous étions là huit hommes et un caporal. Obligés de veiller attentivement pendant la nuit, nous pouvions nous reposer durant le jour. Nous devions être relevés le soir même.
Il faisait une journée de printemps radieuse ; un léger vent du nord soufflait. Tout était si calme que nous ne pensions pour ainsi dire plus à la guerre quand, soudain, vers 17h30 de l'après-midi, nous vîmes une épaisse fumée s'élever au-dessus des tranchées allemandes en face de nous.
La surprise et la curiosité nous clouaient au sol.
Nul de nous n'aurait pu se douter, en ce moment, de quoi il s'agissait.
Comme le nuage de fumée s'épaississait, nous crûmes que les abris de la tranchée allemande avaient pris feu.
Le nuage pourtant se dirigeait lentement vers nous, mais, sous l'action du vent, nous le vîmes dériver vers la droite au-dessus des lignes françaises. L'extrémité de la couche de vapeur nous atteignit seule ; elle était moins épaisse, mais dégageait une si singulière odeur et me saisit à tel point, à la gorge, que je crus un moment que j'allais étouffer… brusquement, j'entendis crier autour de moi : « Une attaque, les Boches sont là... »
Je regardai dans la direction d'où provenaient ces cris, c'étaient des soldats français qui occupaient les environs du pont de Steenstraat et couraient vers nos tranchées. Plusieurs tombèrent en chemin. A notre caporal, qui les interpellait pour savoir ce qui se passait, j'entendis qu'ils répondaient : « Nous sommes empoisonnés. »
Nous reçûmes l'ordre de quitter le poste d'écoute pour rejoindre la tranchée de première ligne. Dans celle-ci tous mes camarades, muets mais étonnants de calme, restaient immobiles, les yeux braqués sur la ligne allemande, le fusil prêt à tirer.
Le commandant et le lieutenant, qui avaient sorti leur revolver de sa gaine, parcouraient rapidement la tranchée, allant de l'un à l'autre, s'assurant que chacun était à son poste. J'entends encore la voix du commandant : « Allons, mes braves, voici le moment de montrer aux Boches que nous sommes là et que les Belges ne reculeront pas ; je compte sur vous et que chacun se défende jusqu'à la mort. »
Entre temps le nuage de fumée autour de nous s'était presque dissipé. Nous aperçûmes alors 4 ou 5 Allemands qui se dirigeaient vers le pont. Les fusils partirent tout seuls, 2 Boches tombèrent.
A côté de moi, un homme cria : « Ce sont peut-être des Français... » Mais non, là-bas, en avant de notre droite, des rangs entiers d'ennemis, baïonnette au fusil, s'avançaient derrière le nuage de fumée ; ils avaient atteint la ligne française. Je vis distinctement des officiers allemands frapper leurs hommes à coup de plat de sabre pour les faire marcher plus vite. Un feu d'enfer partit de notre tranchée, nous tirions à toute vitesse ; le canon de mon fusil me brûlait les doigts, mais ces damnés Boches avançaient toujours, dépassant les lignes françaises.
Il pouvait être environ 19 heures, quand craignant d'être pris en flanc, notre commandant donna l'ordre à la moitié de la compagnie d'élever une barricade à angle droit avec notre tranchée
. »
(Cf. site Chtimiste).

(1) La prolongation du service militaire était demandée depuis plusieurs années par l'Etat-Major, afin d'augmenter le contingent. L'Allemagne, plus peuplée que la France, disposait d'une armée plus nombreuse, et les troupes coloniales étaient difficilement mobilisables dans un court délai. A partir du 13 mai 1913, des protestations et des actions antimilitaristes ont été organisées par les syndicats et le parti socialiste. La loi a été votée le 16 juillet suivant.
(2) Registre des Délibérations Municipales de Decize, 8 juin 1913, p. 74.
(3) R.D.M. de Decize, 30 juin 1913, p. 79.

L'attaque meurtrière du Bois en Brosse.

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  • Le 18 juin, deux soldats de Fleury-sur-Loire, un de Decize et un autre de Saint-Germain-Chassenay sont tués dans la même attaque.
    La lecture du Journal des Marches et Opérations de leur régiment, le 213e Régiment d'Infanterie, permet de comprendre dans quelles circonstances ils ont vécu leur dernier combat.
  • Depuis plusieurs semaines, le 213e R.I. alterne les positions en première ou seconde ligne sur le flanc nord-est du Langenfeldkopf, un petit sommet qui domine la haute vallée de la Thur, dans le sud de l'Alsace, et le cantonnement de repos à Malmerspach.
    Le 16 juin, plusieurs bataillons de ce régiment de réservistes reviennent au front ; ils prennent position dans les tranchées de seconde ligne, où ils relèvent le 5e bataillon de chasseurs. Une attaque d'envergure est programmée pour le 18 juin.
  • Le 18 juin, à 3 h du matin, le 6e bataillon se prépare à avancer, en appui d'une attaque menée par un bataillon de chasseurs à pied dans le secteur du Bois en Brosse. A 6 h 30, les chasseurs sortent des tranchées en avant-garde. A 6 h 55, la charge sonne pour les poilus du 213e.
    La traversée des fils de fer et l'arrivée sur la tranchée allemande sont réussies lorsque 3 obus allemands de 220 tombent dans les rangs avancés, suivis par plusieurs obus français de 75 mal ajustés. S'ensuit un flottement qui permet une contre-attaque allemande.
    La progression prévue est annulée. Le régiment a perdu ce jour-là 7 officiers (3 tués, 3 blessés et 1 disparu) et 310 hommes de troupe (95 tués, 61 blessés et 154 disparus). Parmi la liste des tués figurent Alexandre Labrune, matricule 014325 et Annet Morin matricule 018367. Jean Pagneux, matricule 014325 est porté disparu. Léonard Chamorin, matricule 923 a dû mourir de ses blessures le jour-même au cantonnement de Malmerspach. Tous les quatre appartenaient à la 23e compagnie.
    Cf. J.M.O. Du 213e R.I., juin 1915, pp. 21-26, site Internet mémoiresdeshommes.

Les bénéfices de guerre en question.

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  • En avril 1918, Gabriel Bonnin reprend la plume dans le journal Le Socialiste Nivernais. Il tonne contre les mercantis ; il s'en prend surtout à la municipalité et à son ennemi de classe, le comte de Dreux-Brézé (Le Socialiste Nivernais, 13 avril 1918) :
"Decize est une jolie petite ville, en pleine campagne agricole, où il devrait faire bon vivre, où les marchés devraient être approvisionnés en denrées alimentaires de toutes sortes, volailles, lapins, etc...
Et, cependant, il ne vient sur nos marchés qu'une très petite quantité de produits, et ce qui s'y présente est vendu à des prix abordables seulement pour les patriotes d'avant-guerre, c'est-à-dire pour les nouveaux riches, pour ceux qui ont défendu la "patrie" en bourrant leurs poches de billets de banque.
Et pourquoi cela ? me demanderez-vous.
Parce que nous avons à la mairie de braves et honnêtes gens, il est vrai, mais ne sachant ni ne voulant, qui ne savent pas faire mais qui laissent faire. C'est en vain que mes amis et moi-même avons demandé à plusieurs reprises à la municipalité de prendre des mesures préventives contre la hausse croissante du coût de la vie, nous nous sommes toujours heurtés à un entêtement qui n'a d'équivalent que l'incapacité de nos honorables ; aussi Decize est le pays des mercantis de tout crin et de toute envergure.
Chaque semaine, et dès la première heure, nos marchés sont envahis par une nuée de rapaces qui se moquent des lois et arrêtés, achètent les marchandises culinaires pour les revendre ensuite avec des bénéfices variant très honnêtement de 150 à 200%.
C'est la guerre ! Oui, et cela dure depuis plus de quatre ans. Notre maréchaussée bottée et éperonnée fait bien de temps en temps ce qu'elle peut faire en la circonstance, mais que peut-elle en face de l'inertie de l'hôtel de ville ?
J'ai dit que nos marchés sont envahis par une nuée de rapaces dignes de la correctionnelle, mais ces sangsues que la guerre maudite a créées auraient peut-être le droit d'invoquer, comme circonstances atténuantes à leurs coupables agissements, qu'ils exercent leur petit métier d'affameur public en plein jour et sous les fenêtres de la maison commune.
On voit mieux encore : chaque vendredi vous voyez un vautour sortir de son "aire", s'élancer dans une superbe limousine, venir à Decize et, en-dehors du marché, accaparer beurre, fromage, crème, etc... Ce châtelain plus que millionnaire, c'est l'affameur repu et gavé, ses agissements sont connus de plus de cinquante personnes. Va-t-on prendre contre lui la mesure que réclament les circonstances ou va-t-on le laisser continuer son jeu coupable ? Ou bien va-t-on attendre qu'un citoyen indigné avec juste raison étrille le mercanti nouveau genre comme il le mérite ?
Allons, Messieurs qui-de-droit, un peu de poigne ou... passez-nous la main."
  • À la mairie de Decize, des plaintes sont déposées par plusieurs habitants contre les industriels Joseph Boigues, Grandjean et Georges Fragny qui auraient reçu chaque mois 70 tonnes de charbon des houillères de La Machine à répartir parmi leurs ouvriers. Cette distribution est perçue comme une injustice (La Tribune Républicaine, 18 décembre 1918).


Un prisonnier évadé d'Allemagne et la lettre d'un instituteur libéré.

Carte des camps de prisonniers en Allemagne
  • Pierre Marceaut, originaire de La Machine, soldat au 13e R.I., a été fait prisonnier à Douaumont le 25 février 1916. Interné au camp de Friedrichsfeld, près de Wesel, en Westphalie, il a réussi à s'évader au début du mois de juin 1918. Il est rentré en France le 19 juin. Pour son courage, il a été récompensé de la médaille des évadés et de la croix de guerre avec étoile d'argent.
(Cf. A. D. Nièvre, dossiers des fiches matricules, cote 1 R 423, pp. 295-296).
  • Un instituteur nivernais, prisonnier de guerre récemment libéré, a écrit depuis la Suisse une lettre reprise dans Paris-Centre :
« Sion, le…
Mon cher Monsieur R…
Enfin, me voici délivré ! J'ai quitté la Bavière et ses lourds habitants pour la Suisse.
Vous dire combien je suis heureux est impossible ! Songez donc, 45 mois de captivité sous la botte allemande !
Le voyage depuis Constance a été un véritable enchantement. L'accueil de la Suisse est si chaud que ce peuple vous prend l'âme.
Schaffhouse, Zurich, Berne, Lausanne nous ont ménagé le plus cordial accueil. Mais, hélas ! Ils sont trop d'amis restés là-bas... dans l'enfer.
Avant ces phrases décousues, j'aurais dû vous remercier pour ce que vous m'avez envoyé – la vie n'y est pas rose, allez, et la moindre petite chose reçue est accueillie avec bonheur – et vous ne m'avez pas envoyé que de petites choses... Donc mille fois merci.. ;
Ici, est-il besoin de le dire, la vie est un paradis à côté de celle que j'ai vécue pendant 45 mois ; en Allemagne, la population (surtout celle des villes) meurt de faim ; les gosses n'ont plus de lait et pleurent pour avoir du pain qu'on ne peut leur fournir. Dans la fabrique où j'ai travaillé, les ouvriers ont voulu faire grève pour obtenir une augmentation de vivres. Les soldats qui y travaillaient ont reçu des fusils et des balles avec l'ordre de réprimer tout mouvement.
On se demande en France comment fait la population allemande pour tenir contre la famine ; voilà tout le secret ; elle craint les fusils et les mitrailleuses. Je suis resté mêlé à cette population pendant 40 mois ; je sais donc à quoi m'en tenir.
A Rosenheim, des placards furent posés avec cette inscription : « Louis II (l'ancien roi de Bavière) gouvernait et était roi ; Louis III est le valet de Guillaume II. »
Soyez persuadé que la situation est noire, très noire pour les Allemands. Et nous pouvons espérer que le sabre impérial s'ébréchera contre celui de Foch, car les soldats allemands en ont « plein le dos » ; beaucoup m'ont dit : « Un jour au front français vaut trois mois en Russie. »



(1) Le Socialiste Nivernais, 10 mai 1919.
(2) La Tribune Républicaine, premier avril 1920.
(3) La Tribune du Centre, 9 juillet 1932.
(4) Ibidem, 1er mars 1919.
(5) Ibidem, 18 janvier 1919.
(6) L'Echo du Poilu Nivernais, mai 1922.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 4 juin 2015 à 15:35 (CEST)