La péniche Aster

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Sa première vie : transport de fret.

  • L'Aster a été construite en août 1951 par les Établissements Quenot à La Chapelle-Montlinard (Cher). C'est un bâtard ponté en bois, ses caractéristiques techniques sont les suivantes :
- longueur maximale : 30,57 m
- largeur maximale : 5,02 m
- gabarit Freycinet groupe 2 (mouillage inférieur à 2,50 m) - (Le gabarit Freycinet, adopté le 5 août 1879, définit les dimensions des écluses sur les canaux français de l'époque. Charles Louis de Saulces de Freycinet (1828-1923) était alors ministre des travaux publics).
- charge utile : 300 tonnes ; fret : 250 tonnes
  • L'Aster a été immatriculée le 3 janvier 1951. Au début, elle n'était pas motorisée et devait être « tractionnée » par des chevaux. Un moteur diesel Baudoin de 40/45 cv a été installé en 1953.
  • Son premier propriétaire était M. Marcel Prévost, marinier de Montceau-les-Mines. En 1967, L'Aster a été achetée par M. Georges Burdin, marinier basé à Decize.
  • La péniche a transporté principalement du charbon, mais aussi du sable extrait de la Loire, de l'argile, du bois. De 1953 à 1959, elle a navigué à plusieurs reprises en direction de la région parisienne (La Villette, Aubervilliers, Suresnes, Pavillon-sous-Bois) et vers la Saône (Chalon, Mâcon). - (Marc Crétier et Yves Ducroizet, Le Canal du Nivernais de Decize à Cercy-la-Tour, (Éditions Cerciacum, 2015, pp. 83-101).
  • Pendant les dernières années de son activité commerciale, elle chargeait du charbon de La Machine au port de La Copine (à Champvert) et le livrait à la cimenterie de Beffes ; au retour, elle apportait du ciment à Nevers, ou à Decize au port de la Jonction.
  • En feuilletant le dernier registre du toueur, il est possible de suivre les va-et-vient de l'Aster entre La Copine et Beffes, via le bief navigable de Loire à Decize et la Jonction du Canal latéral à la Loire :
- en 1971, l'Aster effectue 8 rotations entre février et décembre, les plus fréquentes en fin d'année ; il lui faut deux fois deux jours pour effectuer le trajet aller et retour, et parfois plusieurs jours d'attente pour le déchargement ; chaque fois, elle transporte 200 tonnes de charbon ; le tonnage de ciment ou de plâtre n'est pas indiqué car la péniche est touée à vide entre la Jonction et le Canal du Nivernais ;
- en 1972, l'activité commerciale est plus rare : deux allers et retours en mars ; ensuite, le marinier Burdin n'a plus de charbon à charger ; la fermeture prochaine de la mine est précédée par une réduction progressive de la production et les derniers transports se font par train (Registre du toueur de Saint-Léger-des-Vignes, Archives de la DDE-VNF, Decize).

La deuxième vie de l'Aster : le transport touristique.

  • L'activité du Canal du Nivernais change en 1972. Il n'y a plus de perspectives de continuer ou relancer le transport de fret ; le canal risque d'être déclassé, comme le canal de Berry.
  • Au printemps de 1972, M. Georges Burdin est contacté par les services de Jeunesse et Sports de Nevers. Le directeur, M. Dali Ahmed, a prévu d'organiser dans le département un stage « Connaissance de la France ». Cette activité touristique et culturelle est ouverte aux jeunes Européens, étudiants ou salariés, entre 18 à 25 ans. La Nièvre propose une formule originale : une semaine en péniche sur le Canal du Nivernais, entre Decize et Clamecy.
  • Quatre Nivernais encadrent une cinquantaine de jeunes venus de France, d'Allemagne, de Suède, d'Écosse et même de Jordanie (trois jeunes filles qui étudient alors en France). L'hébergement se déroule au camping de Decize les trois premiers soirs, ensuite au camping de Châtillon-en-Bazois, dans les locaux du club de voile de Baye, une nuit dans une ferme de Tannay, et dans une école de Clamecy à la fin du séjour.
  • À Decize, les participants sont reçus très longuement par le maire, M. Gérard, enchanté de présenter sa ville. Deux visites suivent : l'élevage Touillon, où les jeunes étrangers peuvent approcher des taureaux charolais primés ; l'usine céramique.
  • Le toueur fait passer l'Aster de la Jonction au bassin de Saint-Thibault, le 4 août 1972. Le lendemain matin, le groupe embarque pour Cercy. Le soleil brille et le pont de l'Aster se transforme vite en « sun deck » de bateau de croisière. Après une réception officielle à Cercy, le groupe se rend en autocar à Saint-Honoré, afin de visiter les thermes. En fin d'après-midi, arrivée à Châtillon-en-Bazois où les jeunes gens montent les tentes.
  • L'étape suivante est l'étang de Baye. Suit une journée de voile, canoë et farniente, au choix. Les rédacteurs du journal de bord tapent leurs articles et tirent les premiers stencils.
  • C'est sous une pluie battante que la croisière reprend. Traversée des voûtes. Puis marche à pied (le soleil est revenu) sur le chemin de halage. A Tannay, les voyageurs sont reçus par la confrérie des viticulteurs. Le lendemain, chacun secoue les brindilles de foin qu'il a dans les cheveux et c'est la dernière étape en direction de Clamecy. Une étape animée par les danseurs et musiciens de la Sabotée du Beuvron. Les sabots claquent sur le plancher au rythme des bourrées : une occasion pour l'Écossais et les Suédoises de comparer avec leurs danses traditionnelles.
  • Enfin, l'Aster entre dans Clamecy : nouvelle réception officielle. Soirée d'adieu. Et pour quelques participants, le train pour Paris. D'autres partent de Nevers. Les animateurs font le point. Le marinier et son épouse reprennent le canal en direction de Decize (Cette navigation a été vécue par l'auteur de cet article).
  • Mais le Canal du Nivernais restera-t-il longtemps navigable ?
  • Deux Anglais, MM. Ted Johnson et Paul Zivy, s'intéressent au canal depuis quelques années et désirent y développer une activité de navigation de plaisance. Le Conseil Général de la Nièvre, saisi de ce projet, décide d'acquérir le Canal du Nivernais : une concession de 50 ans est signée en 1972. Un Syndicat Mixte d'Équipement Touristique du Canal du Nivernais se constitue, plusieurs structures vont progressivement collaborer à la réorientation du canal, par exemple l'Association des amis du canal du Nivernais, des loueurs de bateaux de plaisance et les municipalités de communes riveraines.
  • L'expérience de l'été 1972 démontre aux responsables du Conseil Général de la Nièvre que la navigation sur le canal peut attirer d'autres touristes, en plus des plaisanciers individuels, possesseurs de leurs embarcations ou clients d'entreprises de location. L'Aster est disponible, puisque M. Burdin veut la vendre, elle pourra désormais transporter des centaines de jeunes, Nivernais ou étrangers, les séjours « Connaissance de la France » vont continuer. Et les scolaires, les clubs de troisième âge, les associations constituent une clientèle touristique potentielle qu'il convient de satisfaire.
  • Le Conseil Général achète donc l'Aster. En mai 1973, la péniche obtient le certificat d'immatriculation NV 2229 F ; elle est certifiée bateau à passagers pour 55 personnes. Avant de la remettre en circulation, des travaux d'équipements sont entrepris. La péniche est dotée d'une cuisine. Dans la cale, 38 couchettes sont installées (24 à l'avant et 14 à l'arrière).
  • Le pont est réaménagé. La coque est repeinte en blanc. L'Aster effectue en 1974 19 jours de croisière. En juin 1975 a lieu l'inauguration officielle. Le Conseil Général, représenté par MM. Eugène Bonnot, André Grosjean et Maurice Besson « ouvre la porte » entre l'étang de Baye et le canal (Le Journal du Centre, 25 juin 1975). M. André Crétier, qui pilotait auparavant le Crébo au service des Ponts-et-Chaussées est affecté à l'Aster.
  • En juillet 1975, l'Aster se métamorphose momentanément : elle devient le légendaire Bounty pour un spectacle théâtral à Clamecy. Mlle Clergue et ses stagiaires jouent L'Ile, une adaptation du roman de Robert Merle : des Tahitiens se révoltent contre les marins du Bounty (Le Journal du Centre, 17 juillet 1975).
  • Cette même saison, l'Aster parcourt 1700 kilomètres sur le Canal du Nivernais pendant 121 jours de croisières et 16 jours de retour à son port d'attache de Châtillon-en-Bazois. Parmi les groupes qui sont embarqués, on remarque :
- une nouvelle session de « Connaissance de la France » avec 11 jeunes Allemands et 21 Français,
- 21 écoliers de Dun-sur-Grandry et Maux ; le but pédagogique est souligné par l'un des maîtres : « Regardée d'une péniche, la nature s'anime tout en se laissant voir; observée en groupe, elle s'éclaire autrement. Les enfants vont ouvrir les yeux sur des choses qui leur sont tellement familières qu'ils ne les voyaient pas. »
- 77 journées de « classes du canal », une formule proposée aux normaliens de Nevers par M. Jaillard : les futurs instituteurs doivent, tout au long de leur croisière, enquêter et rédiger des dossiers sur les patois nivernais et morvandiau, les chansons traditionnelles, l'ornithologie, le fonctionnement des écluses, la vie à bord...
- des élèves du Collège de Varzy,
- des footballeurs du C.S. Bazois et leurs homologues de Sankt-Goar,
- des vacanciers du CCAS (Comité d'entreprise EDF-GDF)... etc...
  • Les saisons suivantes consacrent l'Aster comme la locomotive du tourisme populaire en Nivernais. En 1976, 121 journées de croisières, 55 réservées par des scolaires et des clubs du troisième âge venant de tout le département, 45 par des groupes issus d'autres départements, 21 par des particuliers. En 1977, 150 jours de navigation. Les années suivantes, parmi les passagers nouveaux qui effectuent de courtes croisières on remarque :
- des élèves du collège allemand de Höhr-Grenzhausen (jumelé avec le collège de Saint-Amand-en-Puisaye),
- des Italiens venus de Cortona (ville jumelée avec Château-Chinon),
- 50 jeunes de Chenôve et Venarey-Les Laumes (Côte d'Or), « ceux qui restent quand les autres partent en vacances »...
  • En juillet 1980, le Journal du Centre titre l'un de ses articles : « La péniche Aster brûle d'envie d'avoir une petite sœur. » Elle navigue sur le Canal du Nivernais, et les responsables du Conseil Général envisagent de développer un moyen de transport similaire sur le Canal latéral à la Loire. Ce sera fait quelques années plus tard, avec l'achat de l'Infatigable, une péniche longue de 33 mètres (et réduite à 30 m) et large de 4,50 m, construite en 1906 par le chantier Vankerkoven, à Pont-de-Loup (Belgique). Elle est pilotée par M. Gilles Loeuillet, aidé de M. Marc Crétier.
  • Le Canal du Nivernais, sur lequel on ne comptait que 183 passages annuels en 1972, en compte 1000 en 1979 et 2000 en 1981. Le tourisme fluvial a permis de sauver cette voie navigable
  • A bord de l'Aster, la troupe de théâtre des Funambules traverse le Nivernais : 15 comédiens professionnels présentent à chaque étape des spectacles de marionnettes et une pièce intitulée Voyage autour du monde. En juillet 1982, l'Aster transporte le chef René Rosée et 42 musiciens du Jeune Orchestre Symphonique de La Rochelle, qui donnent sept concerts en rayonnant autour de Decize.
  • L'année suivante, le quartet de Jazz Alain Brunet effectue le trajet Chitry-Decize, joue à Saint-Saulge, Moulins-Engilbert et Decize.
  • Tout au long de ces années, la péniche Aster a subi plusieurs « bains de jouvence » : la coque a repris sa couleur originelle, le moteur Baudoin (datant de 1920, véritable pièce de collection) a été vérifié par l'entreprise Dumas et Colinot, le pont a reçu plusieurs aménagements nouveaux.
  • André Crétier, le pilote de l'Aster, décède en 1990. C'est son fils Marc qui lui succède à partir de la saison suivante. Il a passé une grande partie de son enfance sur une péniche et il a déjà fait ses preuves comme pilote-adjoint sur l'Infatigable.
  • En 1998-1999, il a fallu refaire la coque. Les charpentiers de marine du Chantier du Guip (Brest) et Marc Crétier ont entièrement « désossé » la vieille péniche, lui ont ajusté une coque toute neuve. Au terme de 8000 heures de travail, l'Aster a pu reprendre ses rotations sur le canal.


Dès 1972...
...l'activité...
...touristique...
...se développe...
avec l'Aster
le moteur
réfection de la coque


  • Les croisières ont continué jusqu'en 2002. C'est alors que la péniche a cessé sa « deuxième vie ». L'application stricte de règlements de sécurité lui a interdit toute navigation. L'absence de cloisons d'abordage étanches, la hauteur insuffisante des garde-corps rendent la péniche non conforme à la navigation. Des normes qui, logiquement, auraient dû être connues de l'ingénieur de la navigation et des services du Conseil Général avant les travaux coûteux effectués en 1999, plus de 2 millions de francs.
  • L'Aster est restée immobilisée pendant douze ans sur le Bassin de Saint-Thibault, à Saint-Léger-des-Vignes. Les intempéries, le vandalisme ont sérieusement endommagé les superstructures et la coque.

Une troisième vie à Saint-Jean de Losne.

  • En 2010, l'Aster est mise en vente dans le magazine Fluvial pour la somme de 100000 euros. L'association AQUA, domiciliée à Saint-Jean-de-Losne (Côte d'Or) est intéressée. Cette association existe depuis juillet 1987 ; elle a déjà contribué à sauver différents éléments du patrimoine fluvial, des anciens bachots, un remorqueur de la Saône, des portes d'écluses ; elle gère un petit Musée de la Batellerie ; elle a plusieurs partenaires importants dans le monde de la batellerie, VNF bien sûr, mais aussi les loueurs Le Boat et H20, l'Atelier Fluvial, les établissements Blanquart, installés sur le port de plaisance de Saint-Jean-de-Losne.
  • Le transfert de propriété a lieu en 2014. MM. Patrice Joly président du Conseil Général de la Nièvre et Guy Blanchon pour l'association AQUA signent le contrat suivant : le Conseil Général de la Nièvre cède la péniche Aster à l'association AQUA pour l'euro symbolique. L'association se doit de respecter un cahier des charges qui comporte plusieurs dépenses déjà engagées (les frais d'expertise) ou à engager (première remise en état afin d'effectuer le voyage Saint-Léger-des-Vignes – Saint-Jean-de-Losne, assurance, démarches pour obtenir les autorisations nécessaires, puis d'importants frais de remise en état du bateau).
  • L'Aster est alors mise en cale sèche par Marc Crétier. Des travaux sont effectués sur le gouvernail et le moteur.
  • Le 21 mai 2014 a lieu le départ. Un groupe d'adhérents de l'association Aqua traverse le bief de Loire entre Saint-Léger et Decize, puis s'engage sur le Canal latéral à la Loire. 235 kilomètres et 80 écluses plus loin, l'Aster arrive sur la Saône. Pendant un an, la péniche est installée dans une ancienne écluse ; un échafaudage et une bâche permettent d'effectuer les premiers travaux. En juillet 2015, l'Aster gagne le port de plaisance de Saint-Jean-de-Losne (Cf. site internet musee-saintjeandelosne.com/projet aster : ce site propose d'abondants renseignements et des photos de la péniche).
  • L'Aster aurait pu rester à Decize, ou à Saint-Léger-des-Vignes. Elle aurait pu être remorquée au port de la Jonction, où elle aurait pu servir de capitainerie, de petit bureau de tourisme, de musée, sur l'eau ou posée sur le rivage. L'association decizoise Les Ligéries l'a proposé plusieurs fois au Président de la Communauté de Communes. Ses refus ont toujours été tranchants, sans la moindre hésitation : il était interdit de faire naviguer l'Aster sur le chenal de Loire, c'était trop dangereux, le moteur n'était plus en état, il était encore moins envisageable de transporter des passagers... Quant à la gruter et la déposer sur le bord du bassin, cela aurait coûté beaucoup trop cher. Et pourtant, la Communauté de Communes s'apprêtait à effectuer d'importants aménagements du port. Et toutes les prétendues interdictions n'ont pas été imposées aux nouveaux acquéreurs.
  • L'Aster n'est pas restée à Decize. C'était un élément du patrimoine qui a malheureusement été abandonné par ceux qui auraient dû en être les conservateurs...

Pierre Volut, Le Marteau-Pilon, 2016.


Texte et images proposés par Pierre Volut et mis en page par Michel Mirault le 29 novembre 2016