La Marmite journal de guerre

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Guerre 1914-1918 57.jpg

En lisant La Marmite

  • Tout au long de la Grande Guerre, différents journaux de régiments ont été rédigés. À côté des Journaux des Marches et Opérations (J.M.O.), et des historiques des régiments, organes administratifs officiels strictement contrôlés par la hiérarchie, plusieurs journaux ont été diffusés par des officiers et soldats, à leur usage interne, récréatif et parfois humoristique. Dans le département de la Nièvre, La Marmite a été le seul journal de ce type(1).

Le dépôt des 160e et 360e R.I. à Saint-Pierre-le-Moûtier

  • Au moment où la guerre éclate, en août 1914, le 160e Régiment d'Infanterie est en garnison à Toul. Le 360e R.I., régiment de réservistes, est constitué à Neufchâteau. Les premières opérations confiées à ces deux régiments se déroulent autour de Nancy : défense du Grand-Couronné et des plateaux qui se trouvent à la limite de la Lorraine occupée. Ensuite, le 160e est dirigé vers la Picardie et les Flandres belges, afin d'enrayer la course à la mer de l'armée allemande ; le 360e combat plusieurs mois autour d'Arras.
    À la fin de l'année 1914, les dépôts des régiments sont déplacés assez loin du front. Saint-Pierre-le-Moûtier reçoit le dépôt des 160e et 360e R.I., Decize et Saint-Léger les dépôts des 69e et 79e R.I. Les compagnies au dépôt regroupent des jeunes recrues ou des soldats qui terminent leur convalescence, avant de partir au front ; le renouvellement est constant tout au long du conflit.
Titre du journal

L'organisation éditoriale

  • Le journal La Marmite a été publié du premier janvier 1916 à mars 1919 (35 numéros). La périodicité, au début mensuelle, est devenue quelque temps bihebdomadaire. Le premier numéro, prévu pour un tirage de 200 exemplaires, est retiré deux fois et atteint 1000 exemplaires, dont 400 sont envoyés au Front. Le gérant est alors P.-H. Dupard, l'adresse la librairie Flandin à Saint-Pierre-le-Moûtier. Les responsables de la rédaction sont successivement l'adjudant Marcel Dambrine, les sergents Mandelli, Fournier, Ambrun, Pasquier, René Chenu-Laffitte, l'aspirant Pornin (plusieurs d'entre eux seront tués au combat). La Marmite est imprimée à Saint-Pierre puis à Nevers par l'imprimerie Chassaing sur un papier de format réduit (un peu plus grand que l'actuel format A 4), quatre pages pendant les années 1916 et 1917, 6 pages par la suite.
    Les souscripteurs, officiers et soldats au dépôt, habitants de Saint-Pierre-le-Moûtier, de Nevers ou d'autres localités nivernaises, assurent un double financement, ils versent un franc pour recevoir 5 numéros et envoyer 5 numéros gratuits aux combattants ; en juillet 1916, ils ont aussi la possibilité de ne payer que 0,50 F pour l'exemplaire qu'ils achètent pour eux-mêmes.
    Le journal a connu plusieurs crises : le numéro d'août-septembre 1917 s'ouvre sur « Un Cri d'angoisse : la Marmite se meurt ! », le nombre d'abonnés est insuffisant pour permettre de continuer les envois gratuits à certains soldats qui se battent sur le front, un appel est lancé aux nouveaux souscripteurs ; au début de l'année 1918, les rédacteurs proposent des encarts aux annonceurs (depuis la page entière pour un tarif de 40 F jusqu'au 1/16e de page pour 5 F) ; le photographe Reutlinger, à Paris, les établissements Dollé-Chaubey, négociants en machines agricoles à Vesoul, la « pochette de la marraine de guerre » réservent des encarts de publicité ; la situation financière s'améliore au cours des mois suivants. La Marmite passe en mai-juin 1917 un encart pour un autre journal militaire, Le Tord-Boyau.

Trait d'union entre les combattants et les familles

  • Le journal comprend plusieurs rubriques, destinées aux quatre lectorats spécifiques : les soldats au Front, les soldats au dépôt, les familles et les Nivernais.

Des nouvelles du front

  • Le plus souvent ce sont des rubriques nécrologiques, des listes de soldats tués au combat ou récompensés par des citations, des médailles ; il est difficile, voire interdit, de donner des indications localisées. Les récits de combats se limitent à un rappel des premières opérations de 1914, une série d'articles sur la guerre en Orient (reportage depuis la Macédoine adressé par un officier, K.N. Danvers). Beaucoup plus rares sont les témoignages directs : des poèmes, des comptes rendus de concerts, des anecdotes comme le récit d'un match de football entre une équipe du 160e et des Anglais interrompu par un bombardement (n° 10, 1er août 1916).
    En avril 1917, l'étau de la censure se desserre un peu : deux articles racontent les récentes opérations du 160e à Mont-Saint-Eloy, près d'Arras, et celles du 360e autour de Villers-Cotterets. À la fin de la guerre, la remise de fourragères aux deux régiments permet de retracer un historique plus précis des combats. Après l'armistice et au début de janvier 1919, le 360e est en Belgique et défile à Bruxelles.

Des nouvelles du dépôt

Prise d'armes à Saint-Pierre-le-Moûtier
  • La petite ville de Saint-Pierre-le-Moûtier vit autour de sa garnison. Des prises d'armes, des remises de décorations se déroulent régulièrement sur la Place Jeanne d'Arc ; le maire M. Chomet, le comte de Mandelot, les enfants des écoles et les badauds assistent à ces cérémonies et aux défilés, comme ils vont applaudir les exercices et les rencontres entre footballeurs des différentes compagnies sur le terrain de Cuffier, comme ils vont aux concerts donnés dans le parc du château de La Ferté.
    Un Foyer du Soldat est créé au printemps 1916 ; soldats et civils viennent entendre des conférences : Louis Oscar Maigrot raconte son évasion, le soldat Barthélemy, alias Angelo, prononce une conférence sur l'Amérique du Sud où il s'est rendu lors d'une tournée avec Sarah Bernhardt ; des pièces de théâtre, des récitals de chants patriotiques et de chansons comiques sont donnés à Saint-Pierre, à Sancoins, à Nevers, des soirées animées par Angelo, Marcel Dambrine, Duclos et plusieurs dames saint-pierroises ; Mme Dussane, de la Comédie Française, se joint à la petite troupe.
    Des brèves rédigées par le sergent Patouillot sous le titre générique On nous dit que... rapportent les potins et les menus faits divers. La présence de tant de jeunes hommes dans le département provoque des rencontres avec la population féminine locale, qui le plus souvent est elle-même séparée du mari, du fiancé, du grand fils. « On dit que Nevers est consterné du départ du 160e et que les jolies abandonnées, habituées à l'étreinte robuste des poilus de notre 20e corps, se consolent malaisément de leur solitude... »
    La Marmite publie aussi de courts messages patriotiques de la comtesse de Noailles et de l'académicien Frédéric Masson, et après Verdun des proclamations des généraux Joffre, Balfourier et Alexeieff.

La poésie de guerre

  • Dès la parution du premier numéro et tout au long de son existence, le journal présente des petits poèmes écrits par des soldats.
    L'inspiration est presque toujours la vie militaire, les combats, les dangers. Il y a, bien sûr, un poème intitulé Verdun, un autre Gloire à Verdun, un poème décrit les champs de bataille de l'Artois, Mont Saint-Eloy.



  • Le Village détruit

«Sous le ciel de janvier, dans la pénombre grise
Le village ruiné dresse ses murs noircis :
Ce n'est plus maintenant qu'un amas indécis
Sur qui l'ombre s'étend, car le jour agonise...

Pauvres vieilles maisons ! que reste-t-il de vous ?
Si riantes jadis, avec vos grands toits roux.
Rien, plus rien du passé : murailles éventrées,
Triste amas de débris, de poutres effondrées !

Près du clocher moussu, les voûtes de l'église
Croulent sous le fardeau de leurs vieux toits moisis.
Sous le ciel de janvier, dans la pénombre grise
Le village ruiné dresse ses murs noircis...»

D., 160e
  • Avant l'Attaque.

« Dans le bleu du matin, un soleil de printemps
Fait luire et scintiller l'acier des baïonnettes,
Les cœurs sont angoissés, les bouches sont muettes,
C'est une éternité pour celui qui attend.

Le capitaine ému, jette de temps en temps
Un regard attristé sur l'homme qui le guette
Dans le silence affreux précédant la tempête.
Sur sa montre il poursuit la fuite des instants.

Et chacun abîmé dans ce moment suprême,
Se recommande à Dieu et pense à ceux qu'il aime.
Sous sa capote il sent son cœur qui bat plus fort.

Un cri soudain met trêve à ces tristes pensées :
Un Français tremble-t-il même devant la mort ?
En avant ! Adieu tous ! - Et l'attaque est lancée. »

Han Vère, 160e


(1) Les soldats américains auront leurs journaux, qui seront présentés en 1918.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 17 janvier 2016 à 13:12 (CET)