Faïence de Nevers

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par Jean Montagnon, maître-fayencier de la manufacture «du bout du monde»
Article tiré de la revue «La France à table» de mars 1950
Saisi par Danielle Mathé


Plus de trois cent cinquante années d'existence non interrompues malgré de nombreuses et graves vicissitudes d'ordre général et professionnel, une activité renaissante telles sont les meilleures références de la fayence dont le nom s'associe en tout lieu du globe à celui de Nevers.
Manifestation brillante de la civilisation latine, puisant les motifs de sa vitalité dans les qualités propres à ses matières premières, dans ses procédés particuliers de coloration ; ses décors, sa souplesse d'adaptation tant aux usages qu'aux goûts divers, elle est universellement connue, estimée, recherchée. Le collectionneur est fier de posséder quelques échantillons ; les Musées s'enorgueillissent de ses belles pièces.

Fontaine nivernaise

C'est dans le second semestre de l'année 1585, qu'Augustin Conrade, italien originaire d'Albisola, le français Pierre Pertuys, et les maîtres verriers italiens installés depuis quelques années à Nevers, formèrent une association « En l'Art de la poterie ». Ils installèrent le premier atelier nivernais au logis Saint-Gildas. De cette époque débutante à nos jours, la fayence de Nevers devait connaître des fortunes diverses qu'ils serait trop long de décrire puisque par surcroît il en faudrait expliquer les causes ; il suffira pour en connaître le principal de suivre rapidement l'histoire des fabriques nivernaises au cours des siècles.
Qualifiés de « Marchand potiers » et « Potiers en vaisselle de fayence », les premiers fayenciers n'étaient que de petits artisans possédant petite installation et maigre personnel. Petit à petit les apprentis devenus ouvriers s'installent, montent un four, peinent à l'ouvrage et généralement finissent dans la misère. Mais tel est l'attrait du métier qu'on dénombre douze maisons à la fin du XVIIe siècle dont certaines avaient noms : Bethleem, l'Autruche, l'Ecce Homo, les Trois Rois, du Bout-du-Monde. De cette époque il ne reste que la dernière citée.
C'est à cette période que Nevers doit ses plus belles pièces, les plus originales, les plus soignées ; tous ces artisans qui n'ont pas connu la fortune ont doté Nevers d'une gloire enviable. Plus industriel devant âtre le XVIIIe siècle. Nos « Marchand potiers » ont pris nom de « Manufacturiers » ou « Maîtres de manufacture », la plupart ont su s'adapter aux méthodes commerciales ; d'autres ont échoué qui semblaient posséder les meilleures chances de succès. D'ailleurs le développement des débouchés n'assurait pas la fortune et un édit royal de 1743 allait limiter le nombre des fabriques à six par extinction, afin d'éviter l'avilissement des prix causé par une trop grande concurrence. Hélas, le traité de commerce avec l'Angleterre portait en 1786 un coup terrible à la fayence, alors que nos ancêtres devaient par la suite subir la tourmente de la révolution.
Dans cette nouvelle époque l'imagination des fayenciers de Nevers trouva un genre nouveau, très goûté des collectionneurs : les assiettes et plats patriotiques ; de fabriques tombèrent ; il en restait neuf en 1810 mais deux seulement demeurèrent en activité pendant la plus mauvaise période. Au XIXe siècle une vaste association des fayenciers essayait de maintenir les fabriques installées, mais sans grand résultat puisque celles-ci n'étaient plus qu'au nombre de cinq en 1840 et que toute production artistique était pratiquement abandonnée.
En 1850 on assiste à un renouveau sans relief de la fayence décorée mais c'est en 1875, quatre des anciennes fabriques vivant encore, qu'on assiste à un prodigieux essor des produits de choix dans la manufacture « Du Bout-du-Monde ». Cette maison fondée voici trois siècles, en 1648, près de la Porte-du-Croux par Baron, Miette et Péan venait d'être reprise par M. Antoine Montagnon, elle prenait alors une avance définitive, les dernières anciennes manufactures disparurent, les ateliers qui se fondèrent successivement à ses côtés croulèrent presque tous.
Reprenant les genres qui avaient fait la gloire de ses prédécesseurs, égalant ceux des anciennes rivales de Nevers, retrouvant les émaux profonds, en particulier le bleu que les anciens nommaient le « Grand Secret », M. Antoine Montagnon relance la fayence à Nevers, il matérialise cette nouvelle activité en des pièces de dimensions inusités et jamais atteintes qui eurent les plus beaux succès aux expositions internationales.
Deux guerres ont passé qui n'ont pas abattu cette très ancienne fabrication. Un grave sinistre par bombardement n'a pas entamé l'ardeur de la plus ancienne fabrique, maintenant tricentenaire.
On n'y travaille plus dans la vieille routine ou l'exploitation de recettes ignorantes des progrès scientifiques. Mais on y conserve jalousement le travail manuel qui caractérisera toujours la pièce artistique. La recherche, la mise au point des anciens procédés, y ont conduit à une qualité rare universellement reconnue.
A notre époque de machinisme intensif, de série, de standard de banale uniformité, la fayence de Nevers prend par son originalité, son fini, ses couleurs, une valeur que chaque amateur se plaît à reconnaître et recherche. En dehors même de la matière qu'il faut voir, la fayence de Nevers est un vestige vivace du goût français.

--Patrick Raynal 2 novembre 2008 à 18:18 (UTC)